La Perle et le Caillou du Rhin Louis de Valmalète (19 siècle)

UN collier, qu'on nomme esclavage,
D'un lapidaire ornait le magasin :
Les pierres n'étaient pas du brillant le plus fin,
Mais de ces cailloux dont le Rhin,
Avec orgueil, enrichit son rivage :
Il n'enjetait pas moins un éclat radieux *
Qui fixait des passans les regards curieux,
Si bien qu'ils regardaient à peine
Un bijou bien plus précieux,
De perles formant une chaîne,
Mais perles d'un tel choix que, sans lui faire affront,
D'une princesse il eût orné le front.
Un des badauds, homme fort riche,
Et pour ses plaisirs fort peu chiche,
Mais de qui l'ignorance égalait l'épaisseur,
Fend la presse et, prenant un air du haut parage,
Entre pour acheter le brillant esclavage ;
Au même instant, un riche connaisseur
Veut de l'autre bijou se rendre possesseur.
Pour voir ce double achat on s'approche, on s'empresse ;
Auprès du magasin on se foule, on se presse :
Quel fut l'étonnement des badauds ébahis,
Quand ils virent leur homme
Pour le brillant collier ne donner qu'un louis,
Et la chaine coûter mille fois cette somme !
D'un tel marché honteux et confondus,
Nos badauds, à l'instant, se retirent confus.

Ceci s'adresse à vous, honnêtes gens de France,
Que l'on voit si souvent dupes de l'apparence ;
A vous qui, lestement traitant d'homme d'esprit
Celui qui toujours parle et ne sait ce qu'il dit,
De cet homme à talent qui garde le silence
Ou place à propos un seul mot
Êtes si prompts à faire un sot ;
Avous qui, prenant l'insolence
Pour la noblesse et la grandeur,
Osez mépriser sans pudeur
Et le bon ton et la décence ;
À vous, qui préférez la fortune à l'honneur,
Le vain bruit à la gloire, et la gloire au bonheur ;
De ces badauds vous courez tous la chance,
Et l'on vous voit, comme eux, suivant le même train,
Préférer à la Perle un vrai Caillou du Rhin.

Livre II, Fable 7




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