Le Rossignol et le Corbeau Louis de Valmalète (19 siècle)

Qui se livre au public se livre à la censure :
Bien fou qui prétendrait être toujours loué ;
Je connais maint auteur qui s'est vu bafoué
Pour s'être trop montré sensible à la morsure.
Désirez-vous punir un censeur trop ardent ?
Faites mieux, et si bien, qu'il soit seul mécontent :
Vous critiquant alors, il prouve sa bêtise ;
S'en offenser serait sottise :
Je pense que pour tout auteur
La critique d'un sot est un succès flatteur,
Et son suffrage un revers véritable.
C'est ce que vit fort bien le Corbeau de ma fable,
Qui, cette fois du moins, se montra raisonnable.

Un Rossignol, par ses accents,
Charmait un frais et vert bocage ;
Les oiseaux d'alentour, enivrés de ses chants,
L'écoutaient en silence, à l'abri du feuillage.
Se croyant du talent, (eh ! qui ne s'en croit pas !)
Un Corbeau qui partait pour de lointains climats,
Et qu'arrête un instant le soin de son voyage,
Est témoin de ce fait ; il pense qu'aisément
Il peut d'un tel triomphe obtenir l'avantage ;
Il s'avance ; et voilà qu'un long croassement
Du Rossignol interrompt le ramage.
Soudain Philomèle s'enfuit ;
La troupe des oiseaux la suit,
Maudissant du Corbeau la musique infernale :
Bref, le Corbeau chiante dans le désert.
« Qu'est-ce ? dit-il, quelle est cette cabale ?
De tout auteur sifflé, c'est l'excuse banale)
Tous ces oiseaux sont envieux, c'est clair :
Oui, oui, chantons toujours. Il chante ;
Et crapauds et serpents d'applaudir de concert.
Oh ! qu'entends-je ? dit-il, l'ignorance me vante !
J'ai tort : mes chants ne valent rien :
Taisons-nous donc. » Il se tut et fit bien.

Ah ! que ne peut ainsi se taire
Tel orateur, au babil importun,
Dont les discours, vides de sens commun,
Nous privent de celui qui sait instruire et plaire !

Livre II, Fable 8




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