Les animaux, au temps de cette histoire,
Véritable en tous points, et vous pouvez m'en croire,
Comme aux beaux jours de l'âge d'or,
Ne s'entremangeaient pas encor,
Vivant, ainsi que nous, en bonne intelligence.
Alors petits oiseaux
Se seraient fait scrupule, un cas de conscience
De manger petits vermisseaux ;
Ce point bien posé, je commence.
Un rossignol persan avait fait son logis,
Son domicile au haut d'un chêne.
Près de cet arbre une fourmis,
Dans une grotte souterraine,
Comblait ses nombreux magasins.
Rossignol et fourmi vivaient en bons voisins.
Celle-ci travaillait, portait en diligence
Un poids plus pesant qu'elle aux greniers d'abondance,
Et petit rossignol, dès la pointe du jour,
Charmait par ses accents les échos d'alentour,
Allait dans les bosquets, sous d'épaisses charmilles,
Répéter mille fois ses roulades gentilles
Aux vents d'Est, à la rose, au jasmin, tendres fleurs
Qui s'épanouissaient à sa douce harmonie,
Et toutes répandaient des pleurs.
Souvent, pour écouter sa riche mélodie,,
Le voyageur ralentissait son pas,
La fourmi ne s'arrêtait pas,
Travaillait toujours de plus belle.
« Mon voisin* disait-elle,
Chante fort agréablement,
Assurément,
Et l'on se sent l'âme ravie >
Aux accents merveilleux d'une voix si jolie ;
Mais je voudrais savoir où ça le conduira.
Au surplus, qui vivra -
Verra,
Et ceci n'est pas mon affaire,
Des actions d'autrui je ne m'occupe guère.
Moi, ce que j'ai de mieux à faire, ;
C'est de remettre sur mon dos
Ces fardeaux,
De.ne médire de personne. »
Bientôt le ciel d'été fait place au ciel d'automne !
Aux chants des rossignols et des petits oiseaux
Hélas ! ont succédé, triste et sinistre augure !
Le croassement des corbeaux,
Le silence de la nature !
Plus de roses, plus de jasmins,
. De gazouillements, d'ariettes ;
Plus de beaux jours, de chansonnettes,
De blanches fleurs dans les jardins ;
Plus de zéphirs, plus de verdure ;
Plus de frais, de gentil gazon
Plus de feuilles sur le buisson,
L'épine est sa seule parure.
Il offre au rossignol, à ses membres tremblants,
Un asile incommodé, ouvert à tous les vents,
Car le pauvret est là qui frissonne et grelotte,
Qui pleure, gémit, quand soudain
Il vient à penser à la grotte
Où la fourmi tenait son magasin. -
Il va vers sa voisine en lui disant : «j'ai faim ;
Je vais tomber en défaillance I » ~
Quel plaidoyer sublime et quel jet d'éloquence !
Hélas sur un cœur sec que fait un beau discours ?
Autant vaudrait prêcher devant des sourds.
« Votre position, mon cher, me contrarie : *
Je dirai même plus, j'en ai l'âme marie ;
Mais il fallait penser, petit, aux temps meilleurs,
Que l'automne toujours suit la saison dés fleurs.
Bonsoir ! » Après avoir parlé de cette sorte,
Au nez du malheureux-elle ferma sa porte.
Songez au rossignol, à ses derniers moments.
Employez mieux votre printemps.
Votre printemps ! Bientôt arrivera l'automne.
Pensez à la leçon que ma fable vous donne.