Pendant la saison de l'été,
A l'heure où de la nuit l'épaisse obscurité
Sur l'horizon étend son voile,
Certain jeune écolier dans un bois cheminait.
La lune point encore au ciel ne se montrait,
Et quoiqu'au firmament brillât plus d'une étaile,
Des arbres le feuillage aux yeux les dérobait.
Dans les ténèbres donc notre garçon marchait,
Et quelque peur, peut- être, en secret l'agitait.
Peur !.... mais de quoi ?.... de rien sans doute....
Comment de toute peur se garder, toutefois,
Fût-on même un héros, lorsque l'on n'y voit goutte ?
Aussi c'était par bravoure, je crois,
Que, héros de collége, il tentait l'entreprise ;
C'était aussi pour la première fois
Qu'il osait de pareils exploits.
Soudain, pour lui quelle surprise !
Voici dans l'épaisseur du bois
Qu'il aperçoit briller mainte étincelle ;
De divers côtés à la fois,
Ce spectacle charmant bientôt se renouvelle.
Ce sont mille petits flambeaux ;
On dirait que la nuit a sur ses noirs manteaux
Vu tomber d'or une riche poussière,
Aimable et sereine lumière
Qui charme le regard et ne peut l'éblouir,
Qui, sans le consumer, éclaire le bocage.
Notre écolier l'admire, et toujours davantage
S'approche pour en mieux jouir.
« Oh ! d'un ciel étailé c'est, en petit, l'image,
Dit- il ; qui donc sema tous ces points lumineux ?
Sont- ce des lampions, ou sont-ce de vrais feux,
Que ces astres du bois dont l'éclat m'environne ?
Une fée aurait- elle exercé par ces jeux
De ses enchantements le pouvair merveilleux ?
Est- ce une fête aux enfants qu'elle donne,
Comme un palais magique illuminant ces lieux,
Ou quelque illusion trompe-t-elle mes yeux ?
Non, je n'y comprends rien, et tout ici m'étonne ;
D'un art humain rien ne s'y laisse voir. »
Ainsi notre écolier raisonne.
Mais les points lumineux paraissent se mouvoir,
Lentement s'avancer, percer, puis disparaître.
De plus en plus justement curieux,
Le jeune homme veut reconnaître
La cause qui produit l'effet mystérieux
Et s'expliquer le météore.
Se croyant d'ailleurs fort savant,
Il sent quelque dépit et convient qu'il ignore,
Mais veut du moins s'instruire en observant.
Rien cependant ne se découvre encore.
Que fait-il donc ? il détache un rameau
De l'arbre sur lequel a lieu le phénomène,
Il emporte au logis ce singulier flambeau.
Là, que voit-il ? Un simple vermisseau
Qui s'étend sur la feuille. <<Était-ce bien la peine
« Qu'à ce point mon esprit allât se mettre en frais ?
Quoi ! pauvre petit ver, c'est toi que j'admirais !
Va, rampes en traînant ta fragile existence,
Toi dont la feuille est le séjour !
Qu'est ta faible lueur ? une vaine apparence,
Qui va s'éteindre à l'approche du jour. »
- Oh ! j'en conviens, je suis bien peu de chose.
Quoique le cercle étroit, mon frère, auquel je tiens,
De moi peut- être emprunte quelques biens,
Humbles ainsi que moi..... Mais, à mon tour, si j'ose
Interroger ta superbe grandeur,
Dis- moi quelle est cette science humaine
Qui déjà, même en toi, vient se montrer si vaine ?
De ses secrets as-tu sondé la profondeur ?
Crois- tu puiser dans ton école
De plus véritables clartés
Que celles dont par moi les bois sont enchantés ?
Crois- tu voir tes savants jouer un plus beau rôle ?
Dans l'univers créé ces sages prétendus
Occupent-ils une si grande place ?...
Un seul jour dans le temps, un seul point dans l'espace.
Eh ! quels flots de lumière ont-ils donc répandus,
En passant ici-bas, sur un coin de la terre ?
Environnés des ombres de la nuit,
A quelques pas ils ont produit
Quelque lueur débile et passagère.
Du moins, nous autres vers, d'orgueil sommes exempts ;
Nous goûtons dans nos bois la paix et l'harmonie ;
En est-il (entre nous) autant de vos savants ?
Même accord règne-t-il en votre académie ?
Ah ! crois-moi ! ne méprisons rien
De ce qui peut dissiper en ce monde
L'ignorance et sa nuit profonde.
Toute lumière est un grand bien
Pour qui, restant modeste, en saura faire usage,
Nous vînt-elle d'un ver rampant sur le feuillage. »

Livre III, Fable 8




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