Le Ver-luisant et la famille des Chats-huants Jean-Auguste Boyer-Nioche (19è siècle)

Déjà l'astre du jour, caché sous l'horizon,
Pour d'autres régions poursuivait sa carrière,
Quand, luttant contre l'ombre à travers le gazon,
Un petit ver-luisant promenait sa lumière.
Plus d'une fois quelqu'autre vermisseau,
Au milieu de la nuit fourvoyé dans l'herbage,
À la lueur du propice flambeau,
Avait pu, sain et sauf, accomplir son voyage ;
Aussi de ce bon ver-luisant
Maint insecte reconnaissant
Publiait partout la louange.
Mais ici-bas, pratique étrange !
Faites du bien et l'on vous fait du mal ;
Car de méchans cet univers fourmille.
Près de là donc, un vilain animal,
Un chat-huant élevait sa famille
Dans le creux d'un ormeau. Quelle est cette clarté
Qui de la nuit, dit-il, combat l'obscurité?
Regardez, mes enfants, prenez-en connaissance.
A ces mots,
Les marmots
Mettent la tête au trou : Mon père, elle s'avance,
Dit le premier. Ceci ne me fait présager
Rien de bon, dit un autre. Un troisième s'écrie :
Cours vite l'étouffer, mon père, je t'en prie ;
Peut-être en un soleil elle va se changer.
C'en est assez, leur dit la détestable bête ;
Comptez sur moi, calmez votre frayeur.
Un vermisseau répand cette lueur ;
L'audacieux va payer de sa tête
La fureur de vouloir ainsi nous éclairer ;
De mes coups, j'en réponds, il ne peut se garer.
Il dit, et près de lui va se poser à terre ;
De sa lugubre voix trois fois l'air retentit ;
Il frappe : mais soudain, éteignant sa lumière,
Dans un trou de grillon notre ver se blottit.
L'oiseau, le croyant mort, retourne à son repaire
Retrouver ses enfants bien dignes d'un tel père.
L'autre, au jour, décampant de là,
Le plus loin qu'il put s'en alla.

Ainsi, chez les humains, en maint pays encore,
Tel qui veut, imitant notre porte-phosphore,
Pour le bien éclairer les gens,
Est contraint, par la confrérie
De nos messieurs les chats-huants,
D'aller sur d'autres bords chercher une patrie.

Livre IV, fable 12




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