Les deux Vaisseaux Jean-Baptiste Brossard (1820 - 18?)

Humble jouet des vents errait à l'aventure,
Chef-d'oeuvre d'un enfant, un vaisseau-miniature,
Fait d'un morceau de liège, élevant fièrement
Trois mâts des plus mignons, pavaises richement
Et portant avec grâce, ainsi qu'une parure,
L'appareil élégant d'une fine voilure ;
Voguant donc au hasard,
Loin et bien loin de son point de départ,
Notre vaisseau pour rire,
Rencontre en pleine mer un énorme navire,
Sans dire trop plus grand qu'une maison,
S'avançait gravement, baignant ses flancs dans l'onde
Que laboure sa proue acérée et profonde :
Pauvre ami ! je te plains ; oh bien sincèrement !
Lui dit, en l'accostant, notre gros bâtiment,
D'avoir eu l'imprudence
D'exposer follement ta fragile existence ;
Car, tu dois bien reconnaître, mon cher,
Que tu n'es pas de taille à supporter la mer.
Tu ne peux le nier : la plus légère brise,
Qui caresse le flot et doucement le frise,
Te fait sauter, bondir, cahoter, trébucher
Et souvent sur les flancs brusquement te coucher ;
Tout au contraire, moi, quand la brise légère
Fait, en la caressant, frissonner l'onde amère
Et vient, en se jouant au-dessus de mon bord,
Arrondir doucement mes voiles sans effort,
Noble et majestueux, dans ma course rapide,
Je glisse comme un trait sur la plaine liquide,
Fier et droit devant moi, sans bruit fendant la men
Comme l'oiseau fend l'air.
Satisfait, à ces mots, notre orgueilleux navire
S'enflait, se redressait plus qu'on ne peut le dire,.
Quand tout-à-coup ont vit surgir dans le lointain
Un tout petit point noir, imperceptible grain,
Qui, grossissant toujours et grandissant sans cesse,
S'avançait menaçant, redoublant de vitesse :
Bientôt on entendit mugir avec fureur
Un vent impétueux, sinistre avant-coureur
. D'une immense tempête ; alors d'affreux nuages.
En tous sens emportés par de fougueux orages,
Se heurtèrent entr'eux et remplirent les airs
Du fracas du tonnerre et du feu des éclairs.
Dans ce sombre conflit une bourrasque horrible
Vint assaillir la mer jusque là si paisible ;.
Sous ce choc effrayant, des plus impétueux,
Agités, soulevés, les flocs tumultueux
Roulèrent en grondant leurs ondes écumantes
Et lancèrent aux cieux des vagues frémissantes ;
Puis, des lames sans fin déferlant sourdement
Et sans cesse venant s'abattre lourdement
Sur le pont fatigué de l'orgueilleux navire,
Déjà dans un état dissicile à décrire,
Le firent couler bas et périr corps et bien
Sans qu'il en restât rien ;
Mais le petit vaisseau, libre de tout bagage,
Et d'ailleurs très léger,
Bien qu'un peu vivement ballotté par l'orage,
Se tira du danger
Sans perte ni dommage,

Dans les ferments tumultueux
D'une tourmente populaire
Les Petits d'ordinaire
Se tirent aisément de danger et d'affaire ;
Mais les Grands, foudroyés, écrasés, malheureux,
Succombent engloutis par les flots orageux.





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