Bichon le beau Bichon, Roquet de compagnie,
Et Labri, le vaillant, pauvre chien de Berger,
S'entretenaient un jour, sans y rien négliger,
Sur la manière dont ils passaient cette vie :
Moi, disait le Matin,
Je ne dors que d'un oeil ; toujours, de grand matin,
Sur pieds avant le maître,
Il faut que, dès l'aurore, aux champs je mène paître
De stupides moutons un ignoble troupeau ;
Et que, pour garantir cette insipide race
Des atteint du loup, si glouton et vorace,
J'expose, chaque jour, ma misérable peau :
Du moins, si ce peuple imbécile,
Par mes soins rassemblé, pouvait rester tranquille,
J'aurais quelque répit,
Mais, à mon grand dépit,
Cette stupide espèce,
Pour me faire enrager, s'éparpille sans cesse ;
Et pour les réunir,
Les scélérats me font de tous côtés courir.
A les garder, comme bien on le pense
Je mène, chaque jour, la plus triste existence ;
Toujours en mouvement, jamais point de repos,
Tu me vois efflanqué la peau collée aux os.
Ainsi donc, malheureux autant qu'on puisse l'être,
Il faut, bien mieux encor, que je suive mon maître
A toute heure, eu tous lieux, dans toutes les saisons,
Et que je sois sans cesse auprès de ses talons.
Quand le soir est venu, rôdant dans la cassine,
Exténué, rompu, crotté jusqu'à l'échiné,
On me jette en pâture un morceau de pain noir
Que je mouille, à mon gré, dé l'eau du réservoir ;
Enfin, quand tout le monde,
Partout sur la machine ronde,
D'un paisible sommeil savoure les douceurs,
Moi, des rudes saisons supportant les rigueurs,
Accroupi dans la cour sur quelques brins de paille,
J'éloigne du logis les gueux et la canaille ;
Et sans jamais faillir, la nuit veillant toujours,
Je garde de mon maître et les biens et les jours :
Pas le moindre merci ; pour toute récompense,
On me gronde et maudit plus souvent qu'on ne pense,
Et bien heureux encor que maint grand coup de pied,
Ne m'ait pas jusqu'ici du mieux estropié
— Pour moi, dit le Roquet, satisfait de la vie,
Heureux en ce bas monde, il n'est rien que j'envie ;
Tiens, juges-en plutôt : bien logé, bien nourri,
Des gens de la maison je suis gâté, pourri ;
Et, mieux que son mari, choyé de ma maîtresse,
Je reçois tous les jouis mainte et mainte caresse,
Des mimis, des baisers, enfin force tendresse
Le tout accompagné des propos les plus doux,
Dont un amant gâté serait ma foi jaloux.
Savourant chaque jour ma douce destinée,
Je ne fais jamais rien de toute la journée :
Sur un divan couché, dans la rude saison,
Tranquillement je dors couvert d'un édredon ;
Toujours près du foyer, à la meilleure place,
Sur un tendre coussin, je trône et me prélasse,
A moins que ma maîtresse, et parfois son époux,
Pour me mieux caresser, ne m'aient sur leurs genoux.
Je te dirai bien mieux, chose à peine croyable,
Du maître en favori, je partage la table ;
Et, traité comme un prince, ou plutôt comme un roi,
Tous les meilleurs morceaux sont réservés pour moi :
Enfin, pour m'empêcher d'être triste ou maussade,
On me fait tous les jours faire la promenade,
Et si l'on s'aperçoit que je sois un peu las
Ma maîtresse aussitôt me porte dans ses bras ;
Ainsi donc, mon ami, sans la moindre jactance,
Je n'ai qu'à me louer de ma douce existence.
- Mais, dis-moi donc, mon cher, d'où te vient ce bonheur ?
Repart alors Labri, d'un ton plein de douleur ;
De grâce, camarade, ici fais-moi connaître
Le service important qui te vaut ce bien-être ?
Aurais-tu, grâce au ciel, par un heureux secours,
De tes maîtres sauvé la fortune ou les jours ?
Ou bien leur aurais-tu, par un trait de courage
Procuré quelque jour un immense avantage ?
— Ma foi non, mon ami, reprend notre roquet ;
Mais pour te contenter je te dirai tout net :
Je caresse mes gens de façon délicate,
Et, toujours gracieux, sans cesse je les flatte :
Voilà tout le secret, mon ami, crois le bien,
Si l'on est pas flatteur, on ne fait jamais rien.
Le vrai mérite et le génie,
Dans leur noble franchise, empreinte de l'honneur,
Que le monde insensé rarement apprécie,
Ont bien moins de succès, et bien moins de faveur,
Qu'une échine bien souple, alliant, sans pudeur,
Au langage mielleux la basse flatterie.





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