La Pie et la Fauvette Jean-Baptiste Brossard (1820 - 18?)

Sans plume, rouge encore, et du nid échappée
Pour aller voir le monde et contenter ses goûts,
Comme font certains jeunes fous,
Par sa chute un peu lourde, une pie écloppée
S'en allait clopin-clopant,
Traînant l'aile et gémissant ;
Par ses cris attirée, une douce fauvette,
Prenant pitié de la pauvrette,
Dans son humble réduit, tout proche l'emmena,
La pansa, la soigna, de plus la câlina.
Grâce à des soins constants la malheureuse pie
Fut bien vite en état, et bientôt rétablie :
Sans peine l'amitié vint unir ces deux cœurs,
Et nos belles, s'aimant, comme s'aiment des sœurs,
Dans un nid bien mignon, enterré dans la mousse,
Sous le dôme touffu d'une aubépine en fleur,
Coulaient bien doucement, mais aussi sans secousse,
Des jours toujours égaux mais remplis de bonheur ;
Cependant de l'amour la magique puissance
Vint troubler un beau jour cette douce existence :
Cédant aux vœux ardents d'un amoureux chéri,
Dame Margot bientôt se doubla d'un mari ;
Celui-ci peu flatté d'un nid sur la pelouse,
Vite, dans son château, conduisit son épouse.
Mais quel château, grands Dieux ! un large paillasson,
Formé de brins de paille et même de buisson,
Entassés pêle-mêle et perchés à la cime
D'un immense peuplier à la tête sublime.
La belle émerveillée, et fière de se voir
Haute et puissante dame eu ce vaste manoir,
Qui domine la plaine et se perd dans la nue,
Se crut, ivre d'orgueil, tout-à-coup parvenue
Au sommet des grandeurs ;
Et, de la vanité savourant les douceurs,
La ridicule bête,
De joie et de bonheur faillit perdre la tête.
Le ciel vint ajouter encore à ce bonheur
D'un hymen fortuné la plus douce faveur ;
Notre agace eut bientôt une riche nichée,
Se portant à souhait, comme elle haut perchée ;
Mais la prospérité, la fortune et le bien
Pour beaucoup ne sont rien,
Si d'un faste insolent leur vanité ravie
, N'écrase le voisin, pour qu'on leur porte envie.
Pour se faire admirer que de sots parvenus
Mangent le capital avec les revenus !
Notre pie, ainsi faite,
Descend un beau matin chez la pauvre fauvette :
— Pourquoi, dis-moi, ma sœur, ne viens-tu pas me voir ?
L'amitié cependant t'en a fait un devoir.
Si tu savais combien je tiens à ta visite,
Ma chère, tu viendrais me la faire au plus vite ;
Je serais, sans mentir, au comble du bonheur,
Si tu voulais bientôt me faire cet honneur ;
Je n'épargnerais rien pour me rendre plus digne
D'une faveur pour moi non moins douce qu'insigne ;
Tu serais, crois-le bien, satisfaite de voir
Le site merveilleux de mon noble manoir,
Digne, par sa splendeur, de loger une reine,
Et moi, par conséquent, des airs la souveraine,
Souveraine des airs, je la suis, par ma foi,
Car le soleil lui seul est au-dessus de moi ;
Tandis que sous mes pieds, comme une fourmilière,
Je vois bêtes et gens ramper dans la poussière ;
Du haut de ma grandeur je les domine tous :
Grands, petits, opulents, pauvres, sages et fous.
Oh ! tu verrais surtout ma nombreuse famille,
Aimable s'il en fût. gracieuse et gentille ;
Allons, ma sœur, plus de retard,
Viens me voir au plutôt, car c'est déjà bien tard.
— Tu dois savoir, ma chère,
Combien je suis heureuse alors que je puis faire
Quelque chose qui puisse ou te faire plaisir,
Ou, ce qui vaut bien mieux, te plaire et te servir ;
Et tu dois bien penser que j'aurais au plus vite
Tout quitté, tout laissé pour te faire visite,
Si l'accomplissement de ce noble devoir
N'eût pas, sois en bien sure, excédé mon pouvair ;
Mais que veux-tu ? je suis si faible et si timide
Que je m'éloigne peu des lieux où je réside :
A peine m'élevant au-dessus du gazon,
Osé-je voltiger de buisson en buisson ;
Gomment pourrais-je alors, moi, si frêle et menue,
Dans l'espace infini de la voûte des deux
M'élancer tout-à-coup, d'un vol audacieux,
Pour aller te trouver au-dessus de la nue ?...
Daigne donc m'excuser, malgré mon bon vouloir,
Dans ton royal séjour, je ne puis l'aller voir.
Dame Margot, ainsi déçue en son attente,
Chez elle remonta, dit-on, fort mécontente,
Car, pour sa vanité, c'était un rude échec
Que venait d'essuyer dame caquet-bon-bec.
A quelque temps de : là notre orgueilleuse pie,
Par le ciel indigné, fut encor mieux punie.
Un jour que son époux de son nid s'évadait,
Pour s'en aller aux champs, un chasseur qui rôdait,
Apercevant en l'air la malheureuse bêle,
Qui filait en silence au-dessus de sa tête,
L'ajusta prestement, et tirant sans pitié,
L'abattit sous les yeux de sa chère moitié :
Folle de désespoir, la malheureuse pie
De terreur et d'effroi faillit perdre-la vie,
Puis, en d'amers sanglots exhalant la douleur
Qui, comme un plomb brûlant, lui pèse sur le cœur,
Elle maudit le sort, et, d'un ton lamentable,
Accuse le destin du malheur qui l'accable :
Jamais on ne veut avoir tort,
Et l'on jette toujours la faute sur le sort.
Mais, ma pauvre margot, soyons donc raisonnable,
En quoi de vos malheurs le sort est-il coupable ?
Pour ma part, je l'y vois tout-à-fait étranger ;
Votre époux follement s'exposait au danger :
En se plaçant si haut, et se mettant en vue,
Ne s'arrangeait-il pas pour qu'un chasseur le tue !
Croyez-m'en, votre époux, lui seul, a tout le tort,
Le malheureux, hélas ! a bien cherché sa mort.
— Or, malgré ses raisons aussi sottes que vaines,
Notre agace était loin d'être à bout de ses peines ;
Car, bientôt s'élançant, du bout de l'horizon,
Furieux, mugissant, le fougueux Aquilon,
Escorté d'un amas d'épais et noirs nuages,
Renfermant dans leurs flancs la foudre et les orages,
S'avance renversant, comme d'un tour de main,
Vaisseaux, arbres et toits placés sur son chemin :
Le peuplier sur lequel niche la pauvre pie,
De l'ouragan, soudain, subissant la furie,
En vain courbe le dos, en vain baisse le front.
Tout-à-coup il fléchit, casse, crie et se rompt,
Et voilà de margot la superbe famille
Qui dégringole à terre, où le nid s'éparpille :
L'un des pauvres oiseaux gît mort sur le gazon ;
L'autre est à la renverse, une autre est à bouchon ;
Celui-ci se débat, broyé sous une branche ;
Celui-là s'est brisé deux côtes et la hanche ;
Qui, la tête fêlée, a le cou de travers ;
Qui, bien plus malheureux, a les flancs entr'ouverts ;
Qui, s'en allant boiteux, a la jambe cassée,
Qui, la patte tordue, a l'aile fracassée....
D'affreux gémissements, de longs cris de douleur
Assombrissent encor cette scène d'horreur ;
En voyant ses enfants couchés dans la poussière,
Tous morts ou mutilés d'une horrible manière,
La pauvre mère pleure et gémit à son tour,
Fatiguant de ses cris les échos d'alentour.
— Reconnaissant la voix de son ancienne amie,
Notre fauvette accourt pour consoler la pie :
Tes peines, tes malheurs, oh ! crois-le bien ma sœur,
Vivement partagés, me déchirent le cœur !
Qui ne te plaindrait pas ? ton immense infortune
Dépasse de beaucoup la mesure commune :
Après avoir perdu tristement un mari,
Rempli de qualités et justement chéri,
Perdre encor des enfants gracieux, et qu'on aime
A l'égal de ses yeux, comme son bien suprême,
C'est déjà, sans mentir, une immense douleur,
Mais voir, du même coup, pour comble de malheur,
Tous ses autres enfants, d'une affreuse manière,
Ecrasés, mutilés ou mordant la poussière,
C'est tout ce qu'on peut voir et d'horrible et d'affreux ;
On ne peut concevoir rien de plus malheureux,
Oh ! c'est plus qu'affligeant, c'est mille fois terrible ;
Et pourtant, après tout, chose à dire pénible.
Il faut bien s'y soumettre, et mieux, se résigner !
Quand on n'y peut rien faire, à quoi bon rechigner ?
Allons, ma chère, allons, reprends, reprends courage !
Peu à peu le beau temps revient après l'orage :
Tout le monde ici-bas doit plus ou moins souffrir,
Et parce que l'on souffre, on ne doit pas mourir,
Crois-moi, le lâche seul abandonne la vie,
Avant que par la Parque elle lui soit ravie ;
Le sage, le front haut, quelque soit le destin,
Marche, marche toujours jusqu'au bout du chemin.
— Oh ! j'abhorre la vie !.. Et tu veux, à cette heure
Où je souffre le plus empêcher que je meure ?
Dis-moi, lorqu'on fléchit sous un trop lourd fardeau
Ne le*jette-t-on pas pour soulager son dos ;
Et c'est, quand le malheur me torture et me broie,
Que tu veux que je reste ignoblement sa proie :
Au destin vigoureux, qui toujours vous poursuit,
Par la mort seulement on échappe et l'on fuit :
Songe donc que le sort, d'un courroux implacable,
Sans trêve ni merci depuis longtemps m'accable ;
Vois en devant tes yeux les terribles effets :
Quel crime ai-je commis ? quels sont donc mes forfaits ?
Pour souffrir plus longtemps cette rigueur injuste
Mon courage épuisé n'est plus assez robuste ;
De grâce, laisse-moi, laisse-moi donc mourir ;
Car personne ici-bas ne peut me secourir.
Malgré ton amitié, pour moi toujours si tendre,
Crois-le bien, ô ma sœur, tu ne peux pas comprendre
Ce que l'infortuné, broyé par le malheur,
Eprouve de torture et d'angoisse en son cœur :
Non !.. Celui qui, guidé par une étaile amie,
Coule paisiblement et sans trouble la vie,
Ne comprendra jamais l'infernale douleur
Du malheureux sur qui s'acharne le malheur,
Et qui, las de lutter, à bout de tout courage,
N'espère qu'en la mort, qu'il appelle avec rage,
Et qui, se redressant par un suprême effort,
Se soustrait pour toujours aux poursuites du sort.
— Ton extrême douleur t'égare, ô mon amie !
La fortune, crois-m'en, ne t'est pas ennemie
Plus qu'à moi, plus qu'à Paul, plus qu'à tout autre enfin ;
Voyons, te plaignais-tu des rigueurs du destin
Quand, dans mon humble nid, modeste et sans envie
Tu coulais près de moi paisiblement la vie ?
N'étais-tu pas heureuse, et le cœur satisfait,
Ne regardais-tu pas, comme un nouveau bienfait,
Chaque jour dont le ciel, pour toi plein de clémence,
Embellissait le cours de ta douce existence ?
Eh bien ! viens donc encor demeurer avec moi ;
Et si, pour recevoir et ta famille et toi,
Aussi commodément que mon cœur le désire,
Mon nid, trop à l'étroit, ne pouvait pas suffire,
Il nous sera facile, avec un supplément,
De nous faire pour tous un très-bon logement.
Viens, tu retrouveras, au sein de cet asile,
Inconnu des autants, agréable et tranquille,
Et cette paix de l'âme et ce calme du cœur
Qui donnent ici-bas le seul et vrai bonheur ;
Et dans un long repos, paisible et plein de charmes,
D'un passé douloureux oubliant les alarmes,
Tu verras doucement s'écouler tous tes jours,
Et le ciel favorable en prolonger le cours.
Par tant de bienveillance entraînée et vaincue,
L'orgueilleuse Margot jusqu'aux larmes émue,
Réunit sa famille, et délicatement
Portant l'un, traînant l'autre, arrive lentement
Au nid de lu fauvette, où l'excellente fille
Accueille do son mieux la pie et sa famille,
Leur prodigue son temps, ses peines et ses soins,
Et pourvoit sans manquer à leurs moindres besoins.
Grâce à ce dévouement, la malheureuse pie
Eût pu finir en paix le reste de sa vie,
Et goûter en secret ce charme et ces douceurs
Qu'on n'éprouve jamais dans l'éclat des grandeurs ;
Mais sans cesse pensant à sa splendeur passée,
Et ne pouvant, ainsi déchue et rabaissée,
Vivre, le cœur rempli de tristesse et de deuil,
Elle mourut bientôt victime de l'orgueil.

II est doux de monter, mais bien dur de descendre !!
L'histoire de Margot est là pour nous l'apprendre.





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