Le Rossignol, la Fauvette et la Pie Théodore Lorin (19è siècle)

Un rossignol, alors que la nature,
Ramenant dans nos bois les fleurs et la verdure,
Par sa douce chaleur ranime l'univers,
Faisait retentir dans les airs
Les sons harmonieux de sa voix douce et pure.
Une fauvette admirant ses accents,
Timidement imitait dans ses chants
Cette suave mélodie.
Ce n'était point par une basse envie :
De ce vice odieux son cœur était exempt ;
Mais, sans être jaloux, le plus faible talent
Cherche à suivre de loin les traces du génie.
« Eh ! ma chère, lui dit la pie,
Vous êtes folle, assurément,
Lorsque vous prenez pour modèle
Le triste époux de Philomèle,
Chanteur ennuyeux, assommant,
Qui nous rebat toujours ses vieux refrains. Encore
S'il avait comme moi le ton grave et sonore !
Mais sa voix est si grêle. » Aussitôt de leur trou
On vit accourir le hibou,
Et la chouette, et la corneille :
Le noir corbeau les suit en croassant
Tous, à la pie applaudissant,
S'empressent de crier merveille.
« Voilà le vrai bon goût ! voilà le vrai talent !
Ce rossignol ! vraiment il écorche l'oreille. »
A ce concert étourdissant,
La fauvette fuit éperdue.
Mais bientôt Apollon chassa cette cohue :
Puis au timide oiseau, — « Viens, dit-il, cher enfant :
Si tu n'as pas le chant pur et brillant
Du tendre rossignol, du moins ta voix novice
Cherchant à l'imiter sait lui rendre justice.
Tu t'honores en choisissant
Un modèle parfait : aussi quand son absence
Attristera les bois, tu rompras le silence,
Et les mortels reconnaissants
Verront avec plaisir les modestes accents
De l'humble et gentille fauvette
Succéder aux accords du chantre du printemps :
Tandis que le hibou, le corbeau, la chouette
Et la bavarde pie, au ton aigre et tranchant,
Honnis, chassés honteusement,
Sècheront de dépit de ne pouvair plus nuire. »

Semblable à ces oiseaux, dans son morne délire,
Un envieux, au souris contempteur,
Saisissant gauchement l'arme de la satire,
Se déclare des sots le zélé protecteur :
Sitôt que le public admire
Un sublime écrivain, un élégant auteur,
Ne pouvant de leur gloire atteindre la hauteur,
Il se venge par en médire.