Aussi belle que les amours,
Jeune, fraîche, jolie, un peu fière et coquette,
Rosine, avec les frais atours,
Aimait à la fureur le luxe et la toilette,
Cherchant tous les moyens brillants et gracieux
De faire de l'éclat et de charmer les yeux.
Afin de réussir, tous les jours, notre belle,
En se mirant sans fin dans sa glace fidèle,
Arrangeait, retouchait sans cesse ses cheveux
Pour en tirer l'effet le plus avantageux ;
Déplaçait, relevait, abaissait sa coiffure,
Afin de rehausser l'éclat de sa figure ;
Corrigeait, défaisait, refaisait au complet
Un nœud de frais rubans pour le rendre coquet ;
Dépensait de grands soins pour une bagatelle,
Pour un bout de ruban, pour un brin de dentelle ;
Trente fois retouchait, pour que le tout fut bien,
Sa robe, son corsage, un affiquet, un rien,
Mettant beaucoup de temps et tout son savoir faire
À se parer du mieux, pour charmer et pour plaire.
Un jour que, devant son miroir,
La belle était à sa toilette,
Elle vit en l'air se mouvoir
Fauve, velue, assez replette,
Une affreuse araignée, aux bras longs et fluets,
Qui, dans un coin tendant ses perfides filets,
Allait, venait, nouait, tissait avec adresse,
Ces brins longs et ténus qu'elle étire sans cesse.
Saisie, avec effroi, de dégoût et d'horreur,
La coquette aussitôt pousse un cri de terreur,
Et fuyant lestement, court vite, on le devine,
Chercher un long balai, merveilleuse machine,
Pour enlèver la toile et chasser l'animal
Dont le hideux aspect lui cause tant de mal ;
Du terrible balai revenant donc armée,
La belle allait frapper l'araignée alarmée,
Quand l'insecte lui dit : « Jugez moi sans courroux :
Serais-je donc plus coupable que vous ?
Pour faire des conquêtes,
Captiver tous les cœurs, tourner nombre de têtes,
Marcher en souveraine, et partout, sur vos pas,
Voir mille adorateurs encenser vos appas,
Orgueilleuse et coquette,
Vous faites tous les jours une immense toilette ;
Employant, avec art,
Le charme merveilleux d'un séduisant regard,
Les ruses de l'amour, ses nombreux artifices
Et bien souvent encor ses tours et ses malices,
Vous attirez sans bruit, dans vos pièges secrets,
Les malheureux séduits par vos brillants attraits,
Et, les sacrifiant à vos moindres caprices,
De leurs nombreux tourments vous faites vos délices.
Pour moi, pauvre araignée, en bonne vérité,
Pourrait-on m'accuser de trop de vanité,
Ou même me blâmer de ma coquetterie,
Sans tourner tout-à-fait à la plaisanterie ?
Si, comme vous, fuyant les regards indiscrets,
J'ourdis aussi ma toile, et je tends mes filets,
C'est pour saisir au vol et happer au passage,
Afin de m'en nourrir, ces insectes ailés,
À la jambe bien fine, au maigrelet corsage,
Mouches et moucherons entre nous appelés.
Comment faire autrement ? Est-il dans la nature
Pour moi si malheureuse une autre nourriture !
Sous peine de pâtir et de mourir de faim,
Il me faut donc, hélas ! filer, tisser sans fin.
La chose dans ce cas est on ne peut plus nette :
En faisant, moi ma toile, et vous votre toilette,
Nous tendons toutes deux des pièges séduisants :
Vous, pour prendre un époux et bien mieux des amants,
Et moi, pour attraper une maigre pâture ;
Ainsi donc, nous chassons : moi, pour ma nourriture,
Et vous, pour contenter vos amoureux désirs ;
J'obéis au besoin, vous cédez aux plaisirs ;
Maintenant, plus que vous serais-je donc coupable ?
Ne suis-je pas au contraire excusable ?
De grâce ayez pour moi des sentiments plus doux
Et ne m'accablez pas d'un injuste courroux. »
Méprisant ses raisons, notre belle indignée
Du bout de son balai fit tomber l'araignée,
Et pourchassant la pauvrette du pied,
L'écrasa sans pitié.
L'insecte avait raison, c'est justice à lui rendre,
Mais, de par la loi du plus fort,
Il devait avoir tort :
La coquette, en courroux, le lui fit bien comprendre
En lui donnant la mort.