La coquette et le Frelon Jean-François Guichard (1731 - 1811)

Devant son miroir de toilette,
Et de s'y voir bien sa satisfaite,
Doris, pendant le chaud du jour,
Pour mieux faire briller ses charmes,
Cherchait dans sa parure un plus élégant tour.
Sur elle-même elle essayait ses armes,
Et méditait sans doute un amoureux dessein.
Près d'elle, en bourdonnant petit frelon voltige ;
Il en veut à la joue, à l'œil, au front, au sein
Du radieux prodige.
S'il n'est pas le plus fort, il est le plus rusé ;
C'est toujours en vain qu'on le chasse,
Des rebuts s'accroît son audace.
Sur le coin de la bouche, enfin, il est posé.
Il en exprime, il en aspire
Ce nectar si voluptueux
Le nectar des amants heureux.
De tout son corps Doris tremble, soupire,
Et de ses cris importune les cieux ;
De tous les animaux que vous fêtes, grands dieux,
Voilà le plus désagréable,
Voilà le plus insupportable !
Adroitement le frelon répondit :
Pourquoi ce courroux, ce dépit ?
De ma témérité vos attraits seuls son cause :
Quelle fraîcheur de teint ! qui n'en serait épris ?
Ces lèvres, voyez-les, ces lèvres ont, Doris,
L'éclat et l'odeur de la rose...
- Ici, Lisette : ah ! le pauvre animal !...
Cessez, cessez de la poursuivre ;
Je ne veux point qu'on lui fasse de mal.
Je lui pardonne, il mérite de vivre,
Il est galant, il est poli....
Je le trouve même joli.

Fier de ce prompt succès, dont la douceur l'enivre,
Au plaisir d'en parler notre frelon se livre.
L'éloge du nectar divin,
Faisant d'un pareil sort concevoir l'espérance,
Anime, émeut, décide tout l'essaim ;
Il vole, il est souffert : funeste complaisance !
Du plus entreprenant frelon
La coquette reçut un vif coup d'aiguillon.

Livre IV, fable 1




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