Au sein d'une prairie où mille et mille fleurs
Étalaient à l'envi leurs brillantes couleurs,
Se dressait avec grâce et se groupait en gerbe
De riches boutons d'or une toufse superbe.
Frais, coquets, gracieux, rutilants au soleil,
Et sans cesse brillants d'un éclat sans pareil,
Nos boutons d'or, admirés à la ronde,
Captivaient les regards et charmaient tout le monde :
Pour eux on laissait de côté
Les autres fleurs, leur grâce et leur beauté :
Aussi les pauvres fleurs enviaient en silence
De leurs heureux voisins la brillante existence ;
Seul, cependant, un méchant pissenlit,
Non moins vain que jaloux, en crevait de dépit.
Aussi, le cœur gonflé d'une douleur amère,
Exhalait-il tout haut le fiel de sa colère :
Je voudrais, disait-il, un peu savoir pourquoi
Ces maudits boulons d'or sont plus jolis que moi,
Et pourquoi tout le monde ébahi, les admire
Sans s'occuper de moi ? Vraiment, c'est du délire !
Si leur corolle d'or attire tous les yeux,
L'or de ma chevelure est-il moins précieux !
Ma tige serait-elle indigne de sa fleur ?
En est-il donc de même de la leur ?
Où trouver, sans mentir, une plante plus frôle.
Plus mince que la leur, dont la fleur soit si grêle ?
Oh ! ce n'est pas se montrer vaniteux
Que de prouver qu'on a plus de mérite qu'eux,
Et qu'en les admirant, le monde, par caprice,
Commet à mon égard une affreuse injustice !
A peine achevait-il, poussant un long soupir,
Qu'on vit de ce côté bruyamment accourir
Une bande d'enfants, ainsi que d'ordinaire,
Pour rire et s'amuser, disposée à mal faire.
Oh ! les beaux boutons d'or ! dit aussitôt l'un d'eux,.
En indiquant du doigt les pauvres malheureux ;
Et la bande, en sautant, dans le pré de descendre,
Courant à qui mieux mieux pour plus vite les prendre
Et les plus tôt venus de prendre à pleine main
Tout ce qui se trouvait placé sur leur chemin.
Les derniers, les plus lents, ne trouvant pas grand chose
Et pour cause
Voulurent partager.
On vit donc aussitôt un combat s'engager :
Les pauvres boutons d'or, cause de cette guerre,
Tiraillés en tous sens, broyés, foulés à terre,
Furent, en un clin d'oeil, mis en nombreux morceaux,
Et jonchèrent le sol de leurs tristes lambeaux.
En contemplant de loin cet immense carnage,
Bien fait pour assouvir son infernale rage,
Le pissenlit, content, disait : Tant mieux ! tant mieux !!
Ces maudits boutons d'or étaient trop glorieux.
Le monde est ainsi fait : chacun de nous désire
Le bonheur du voisin que le public admire ;
En croyant valoir mieux on devient si jaloux
Qu'on déverse sur lui sa bile et son courroux ;
Et si quelque malheur arrive au pauvre diable,
Satisfait et content, toujours impitoyable,
On triomphe en secret et s'écrie : Tant mieux !
Il le mérite bien, c'était un orgueilleux !!