La Veuve et l'Âne vert Jean-Baptiste Brossard (1820 - 18?)

Verte et drue une veuve, assez riche et jolie,
Brûlait défaire encore une fois la folie,
Bien commune pourtant, de tâter d'un mari ;
Mais elle redoutait l'affreux charivari
Dont le malin public fête, selon l'usage,
Les débuts surannés d'un second mariage :
De plus elle avait peur des bruits et dés caquets,
Et surtout des lazzis et des fiers quolibets,
Toujours remplis de fiel ou mêlés d'amertume,
Que le peuple railleur, ainsi que de coutume,
Répand avec plaisir, et sème à pleine main
Sur tous les insensés, qui, sans respect humain,
Affrontent de nouveau les hasards de l'Hymen.
Partant, elle hésitait, mais sa vieille nourrice,
Vieille Fée édentée, et vieux sac à malice,
La tira d'embarras et bannit tout souci,
Employant à propos le moyen que voici :
La belle veuve avait, pour servir de monture,
Un Ane blanc, si blanc, grâce à darne nature,
Que d'un manteau d'hermine on l'eut dit recouvert,
La nourrice un beau jour vous le fait teindre vert,
Et voilà, par ce tour, sire Baudet, sans peins.
Devenu tout-à-coup un rare phénomène.
Dans ce bizarre état, bien fait pour étonner,
lentement par la ville on le fait promener :
Le premier jour on vit une immense cohue
Partout sur son passage affluer dans la rue,
Pour voir et contempler cet étrange animal
Très-curieux vraiment par son poil anormal
Dans l'admiration où se trouvait plongée
La foule des badauds diverse et mélangée,
On voyait des enfants, rieurs et babillards,
Dès hommes déjà murs et même des vieillards,
Pour mieux voir le Baudet, suivre de telle sorte
Qu'ils lui faisaient l'honneur d'une nombreuse escorte.
Dieu sait si l'on parla, jasa, déblatéra,
Et glosa sur le fait de cet animal-là.
Reconnaissant en lui toute la forme asine,
Les uns le faisaient naître au fin-fond de la Chine ;
Les autres au Japon, quelques uns au Pérou ;
Pour les plus ignorants c'était un Loup-garou ;
Le vulgaire y voyait une bête inconnue
Etrange au dernier point, bizarre, biscornue,
Sentant l'Apocalypse ou ces monstres affreux
Que la légende place en dos lieux ténébreux ;
Bref, un sot animal, une brute bien vile,
Pendant un jour entier fit le bruit de la ville,
Le second jour encore on vit notre Baudet,
Par la ville conduit, faire même trajet ; -
Or, les choses avaient changé depuis la veille :
L'âne vert n'était plus qu'une demi merveille
Qu'on regardait déjà d'un oeil indifférent,
Comme un objet connu, de loin très apparent ;
Pour mieux l'examiner, de profil ou de face,
Personne ne songeait à bouger de sa place.
A peine disait-on, en souriant un peu :
« Tiens ! voilà l'Ane vert !... drôle d'âne parbleu ! »
Aussi ne vit-on plus une foule imbécile
Comme le jour d'avant l'escorter par la ville,
Et Messire Baudet, traité comme un vilain,
Sans qu'on l'accompagnât filait seul son chemin.
Les jours suivants encor le pauvre camarade
Fit régulièrement la même promenade ;
Mais n'étant plus l'objet de l'admiration,
On ne fit plus à lui la moindre attention ;
Et le public blasé ne s'occupa plus guère
De l'âne teint en vert que d'un âne ordinaire.
Instruite par ce fait, d'un heureux pronostic,
Combien est méprisable et vain le bruit public,
Notre veuve, sans crainte, et bien déterminée,
Serra bientôt les noeuds d'un nouvel hymenée,
S'exposant volontiers à payer, à son tour,
Tribut au bruit public au plus pendant un jour.

Le bruit publia est comme une épaisse fumée
Qui monte et disparait dans les airs parsemée :
Dès l'abord il s'élève, et s'accroit en son cours ;
Mais bientôt il faiblit et tombe pour toujours.





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