La veuve du Paon, le Dindon et le Pigeon Pierre-Louis Ginguené (1748 - 1816)

Un Paon vint à mourir : il laissait après lui
Une jeune et fringante Veuve :
Après la semaine d'épreuve,
Plus d'un Galant s'offrit à charmer son ennui.

Par son brillant clairon le Coq veut la distraire :
L'Oie et le Canard tour à tour
Nasillonnent avec amour ·
Et se rengorgent pour lui plaire.
Mais le Dindon surtout prétend lui rappeler
L'époux que sa douleur regrette :
Au Défunt il croit ressembler :
Il n'y manque en effet que la brillante aigrette,
" L'habit richement azuré,
Et des cent yeux d'Argus le cercle diapré.
Du reste, il se pavane, il rôde, il fait la roue,
Il glousse pour la Veuve, et surtout il la loue,
Non de ses changeantes couleurs,
De sa taille fine, élégante :
Ce qui vous soumet tous les cœurs,
Dit-il, c'est cette voix si douce et si touchante,
Cette jambe arrondie, et ce pied si parfait
Qui dans un moule semble fait.

Dans ses amours toujours sincère,
Au toit du colombier, un honnête Pigeon,
Entendant ces propos, n'y tient plus, vole à terre,
Et crie au louangeur gascon :
L'éloge que tu fais ressemble à la satire.
Aussi maladroit qu'effronté,
Pour louer, pour flatter, n'as -tu donc rien à dire
Qui ressemble à la vérité ?

Je m'en garderai bien, repartit le Coq- d'Inde,
Moins Dindon qu'on ne l'aurait cru :
Éloge véridique est à peine aperçu.
Oiseau de basse-cour, ainsi qu'Oiseau du Pinde,
Doit, pour réussir ici-bas,
Louer surtout les gens des vertus qu'ils n'ont pas.

Fable 13




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