Infirmes et chargés d'années,
Traînant leurs Majestés faibles et surannées,
Vieux Tigre et vieux Lion se trouvèrent un jour
Au détour
D'un bois, que leurs combats cent fois ensanglantèrent.
Le temps avait limé leurs grifses et leurs dents :
D'une haleine pénible ils fatiguaient leurs flancs :
En se voyant, ils s'arrêtèrent.
Plus de querelle entre nous
Plus de sang, plus de courroux,
Dit le Lion ; avec l'âge
On devient humain et sage :
Guerroyer, c'est être fou.
Nous en avons tout le soû
Passé notre fantaisie :
Faisons enfin la paix ; et pour que l'amitié
Règne entre vous et moi, pure de jalousie,
Partageons, voisin, par moitié
Les déserts d'Afrique et d'Asie.
Partageons, dit le Tigre : il faut bien en finir.
Alors, en chancelant, tous deux ils s'approchèrent,
Tendrement ils s'embrassèrent,
Côte à côte se couchèrent,
Et de leurs longs débats perdant le souvenir,
Commencèrent
A dormir.
(Lions et Tigres sont plus confiants que l'Homme.)
Notre couple d'amis ne fit pas un long somme.
Bientôt un bruit confus d'affreux rugissements,
Du fond de la forêt, envoie à leur oreille
D'horribles retentissements,
Et tous deux en sursaut, à la fois, les réveille.
C'étaient des Tigres, des Lions,
Jeunes et vigoureux, qui, transportés de rage,
Pour les plus frivoles raisons,
Remplissaient ce désert de sang et de carnage.
Les jeunes insensés ! dit le Tigre : pourquoi
Ne sont-ils pas, pour leur propre avantage,
Aussi calmes que vous, aussi sages que moi ?
Ils le seront unjour, dit l'autre ; la vieillesse
Leur donnant la même faiblesse,
Leur dictera la même loi.
Soyons vrais : elle seule arrêta nos ravages ;
La paix nous réunit impotents et perclus :
Ce n'est pas, j'en rougis, que nous soyons plus sages ;
Mais c'est que nous n'en pouvons plus.
Est-ce aux rois, est-ce aux chefs de la chose publique,
Aux conquérants enfin que ce conte s'applique ?
C'est à tous les humains. Nos folles passions,
Nos coupables ambitions
Ne s'éteignent souvent dans nos sens,
dans notre ame
Que lorsqu'en nous l'ame et les sens
Ont perdu leur vigueur et leur active flamme.
Au mal comme au plaisir devenus impuissants,
Avec rigueur alors nous frondons la Jeunesse ;
Et nous nommons en nous sagesse
L'inévitable effet du temps.