Le Lion, le petit Chien et le Tigre Pierre-Louis Ginguené (1748 - 1816)

Le Lion, ayant ouï dire
Que tout Roi magnifique Sire
Avait, chez nous autres humains,
Asa Cour et bouffons et nains
Attitrés pour le faire rire,
Choisit, en sage et digne Rei,
Parmi les Chiens de son Empire,
Un Chien-Gredin pour cet emploi.
Dès que tout devoir, toute affaire,
Laissaient libre Sa Majesté,
Lion, pour se mettre en gaîté,
N'avait pas de grands frais à faire.
Assis toujours à son côté,
Le Gredin était écouté,
Toujours il était sûr de plaire.

De la Cour tous les grands Seigneurs,
Et les graves Ambassadeurs,
Se prêtaient à cette faiblesse :
On voyait souvent la Grandesse
S'humilier, d'un air badin,
À jouer avec le Gredin.
Souvent même, en pleine audience,
Il leur faisait mainte insolence ;
Mais rien ne blessait de sa part.
Du Tigre il savait contrefaire
La sourde et grondante colère ;
Mordait la queue au Léopard,
Le bout du nez à la Panthère :
Lion riait ; ses Courtisans
Riaient aussi par complaisance,
Mais en grognant d'impatience,
Et, comme on dit, du bout des dents,

Lion était vieux : la vieillesse
Mène les Rois au même but
Que leurs Sujets : Lion mourut,
Aussitôt toute la Noblesse
Ases obsèques accourut ;
Et jusque du fond de l'Afrique,
On vint, à sa froide relique,
Payer un triste et vain tribut.

Pendant cette cérémonie,
Le Gredin, suivant son génie,
Osa, sans respect pour le lieu
Ni pour le deuil du Demi-Dieu,
Du Tigre troubler la prière,
En l'imitant à sa manière.
Le Tigre, vers cet effronté,
Se tourne ; d'un œil irrité
Le foudroie ; et laissant paraître
Un courroux longtemps concentré,
Dans sa grifse le tient serré;
Puis le jette, tout éventré,
Sur le tombeau du Roi son maître.

Aux Gredins ou Bouffons de Cour,
Ceci peut arriver un jour.

Fable 37




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