L'ours tenait un faon sous ses poings,
Tout près d'en apaiser la faim qui le tourmente.
Le Lion, que la faim ne pressait guère moins,
Arrive, la gueule écumante.
Il se croit le plus fort, et veut se régaler
Du faon que l'Ours vient d'étrangler.
L'Ours à d'autres rivaux avait fait résistance ;
L'aiguillon de la faim irrite sa valeur.
Il ne veut pas céder, dans cette circonstance,
A ce royal écornifleur.
Avec la même violence
On combat des deux parts ; les héros, affamés,
D'une égale fureur paraissent enflammés ;
Mais la victoire entre eux balance.
Leur mutuel emportement
Redouble cette affreuse guerre,
Jusqu'à ce qu'ils tombent à terre
Dans un égal épuisement.
Ils gisent, étourdis de leur lutte acharnée.
Le Renard les a vus, en faisant sa tournée ;
Il s'avance d'un pas timide et hasardeux,
Les observe couchés, le faon au milieu d'eux :
Sûr de leur état de faiblesse,
Il saisit le faon sous leurs yeux,
Et se dérobe avec adresse.
Tous deux, impunément se voyant enlèver
La cause et le prix de leur lutte,
Gémissaient, mais en vain ! Que faire ? De leur chute
Ils ne pouvaient se relever.
« Oh ! s'écrièrent-ils, quel malheur est le nôtre !
Nous nous sommes battus avec tant de fureur,
Pour qui ? pour un Renard, effronté picoreur,
Qui nous brave ainsi l'un et l'autre ! »
Au palais j'ai vu même erreur.
Deux plaideurs entêtés voulaient, dans leur vertige,
S'arracher l'un à l'autre une terre en litige ; o '
Ils se sont ruinés ; et c'est leur procureur
Qui de la terre est l'acquéreur.
Si l'on veut s'élancer sur un plus grand théâtre,
Dans la Grèce on peut voir quelles calamités
Suivent le choc opiniâtre
Des deux plus fameuses cités.
La Grèce vaut bien qu'on se batte ;
Mais la proie, indécise entre l'Ours spartiate
Et le Lion athénien,
Finit également par tomber sous la patte
Du Renard Macédonien.