Ornement de la Normandie,
Le Pommier fructueux, dont la tête arrondie
Se forme en globe ramassé,
Disputait la prééminence
Au Poirier, dont le front, par une autre ordonnance,
Offre en l'air un cône élancé.
L'on sait que dans leurs fruits leur port est retracé.
Pour l'effet comme pour la montre
Tous deux voulaient la primauté.
Sur leur mérite et leur beauté
L'on pouvait parler pour et contre.
Ces deux arbres rivaux, l'un de l'autre voisins,
L'un et l'autre devant à l'industrie humaine
De leurs variétés l'étonnant phénomène,
S'ils ne sont frères, sont cousins ;
Mais entre eux les cousins rarement sympathisent,
Et les frères pour rien trop souvent se divisent.
Du Pommier, du Poirier, les débats importants
Etaient vifs, et duraient déjà depuis long- temps.
Une Ronce du voisinage,
Lasse de ce mauvais ménage,
Veut charitablement les réconcilier :
« Pourquoi vous désunir ? Tout doit vous rallier ;
N'êtes-vous pas tous deux l'honneur du jardinage,
En plein vent comme en espalier ?
N'al'avez-vous pas tous deux le flatteur apanage
D'être aussi, dans les champs, le trésor du fermier ?
Entre vous s'établisse, et ne s'altère plus. »
La Ronce en discours superflus
Usait son éloquence. Au lieu d'en tenir compte,
Les deux fiers rivaux avaient honte
Qu'un tel médiateur se fût mis sur les rangs.
Quel affront que ce fût du milieu d'une haie
Qu'une morale, fausse ou vraie,
Les tançât sur leurs différents !
La raison des petits semble un outrage aux grands.
« Comment ! loin de garder un modeste silence,
La Ronce nous sermonne ! Elle est sotte ; elle a tort. » -
Nos arbres, là-dessus, un moment sont d'accord
Pour réprimer cette insolence.
Ô vous, qui voulez réunir
Des esprits opposés et des sectes rivales,
Vous croyez qu'oubliant les discordes fatales
On doit vous croire et vous bénir !
Vous choquerez sans fruit les deux partis contraires.
Qu'importe ! à la raison il faut en revenir.
Oui ! calmons les cousins, mettons d'accord les frères,
Quand ils devraient nous en punir.