Un pommier produisait des fruits délicieux,
Qui flattaient à la fois et le goût et les yeux ;
Tous les jours il voyait les ensans du village
S'empresser de venir lui rendre leur hommage.
Nos marmots vous croquaient la pomme à belle dent.
Comme ils satisfaisaient si bien leur gourmandise,
L'arbre fit sur leur compte une étrange méprise ;
Car il jugea très-mal leur vif empressement.
Il prit pour amitié cette douce habitude
Qu'ils avaient de venir pour savourer son fruit.
Mais à peine fut-il à la feuille reduit,
Qu'autour de lui voyant régner la solitude :
Hélas ! dit-il, j'étais, je le vois, dans l'erreur,
Pour mobile ils avaient leur bouche et non leur cœur !
Quand on a bien aimé quelqu'un dans l'opulence,
Sans doute on l'aime encor s'il est dans l'indigence.

Notre arbre avait raison ; mais où sont les amis ?
Celui qui par ses soins autour de vous s'empresse,
Souvent n'agit de même (à regret je le dis)
Qu'afin de mieux atteindre au but qui l'intéresse.

Livre I, fable 38




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