A. peu près du môme âge,
Deux arbres différents de forme et de feuillage :
Un peuplier très grand, mais effilé,
Et, plus court, un pommier avec art mutilé,
L'un de l'autre assez près ; sur le bord d'un domaine,
Avaient été plantés dans la môme semaine.
Mais, pour le préserver de funestes penchants,
Des méfaits désastreux des animaux méchants
Et, mieux eccor, des coups et des outrages
Des vents et des orages,
On avait entouré de pieux-et de buisson
Le pommier fagoté de solide façon.
Emprisonné dans cette étroite armure,
Le malheureux souffrait outre mesure,
Bien plus, était humilié
D'être, comme un méchant, honteusement lié,
Tandis que son voisin, laissé libre et sans gêne,
Grandissait à son aise, et, non moins Der qu'un chêne,
Avec orgueil, élevait jusqu'aux deux
. Son front sublime et gracieux
Que berçait mollement la caressante haleine
Des folâtres zéphyrs accourus de la plaine.
Le pommier, furieux, souffrait avec douleur
Cet entourage affreux, cause de son malheur :
Aussi maudissait-il, chaque jour, en son âme,
L'auteur de ce supplice infâme.
Pourtant un jour qu'un taureau furieux
Des cornes et du front écorçait de son mieux
Le peuplier sans force et sans défense,
Notre pommier comprit que, bien loin d'une offense,
On l'avait préservé de semblable accident
Par un rempart non moins sûr que prudent.
Mais, bientôt fatigué de cette servitude,
Il soupirait après un peu de latitude
Quand un enfant maudit, armé d'un fer tranchant,
Du peuplier sans souci s'approchant,
Se mit, pour s'amuser, à faire mainte entaille
Dans l'endroit mis à nu de l'arbre à haute taille,
Et ne cessa ce jeu cruel et douloureux
Que lorsqu'il eut atteint le cœur du malheureux.
Touché de la blessure immense
De son pauvre voisin, presque mort de souffrance,
Notre pommier, pour le coup, satisfait
D'être à l'abri de semblable méfait,
Supportait, résigné, sans le moindre murmure,
Le gênant attirail de sa puissante armure ;
Pourtant, parfois encor, l'esprit de liberté
En lui se réveillait dans toute sa fierté,
Et, faisant à ses yeux briller l'indépendance,
Semblait se faire un jeu d'éprouver sa prudence.
Or donc, un jour que ce brillant démon
Du pommier délirant obsédait la raison,
Le vent qui, jusque là, sommeillait bien paisible
S'éveillant tout à coup furieux et terrible,
Courbe le peuplier qui, sans force et perclus,
Plie, casse et, tombant, ne se relève plus.
Frappé de cette fui si brusque et déplorable,
Le pommier, devenu tout à fait raisonnable,
Bénissait, maintenant, dans le fond de son cœur
Celui qu'auparavant il avait en horreur,
Et chérissait, mûri par la sagesse,
L'égide bienfaisante, abri de sa faiblesse.
Dans cet état, prospérant tous les jours,
Notre arbre grossissait et, grandissant toujours,
Etalait, glorieux, sa brillante ramure :
Bientôt on l'affranchit de son épaisse armure,
Et le débarrassa de cet affreux lien
Qui, maintenant, ne servait plus à rien.
Pour toujours délivré d'une gêne inutile,
Le pommier, vigoureux, fort, superbe, fertile,
Devint bientôt, par sa fécondité,
Un arbre merveilleux de fruits, de grâce et de beauté.
Il faut un frein à la jeunesse ardente :
Aveugle, très-légère et toujours imprudente,
Tout entière au plaisir, n'écoutant que l'orgueil,
Souvent, sans un tuteur, elle ferait écueil.