Un cochon gras et lourd au dernier point,
Grâce à son auge toujours pleine,
Était si gros, avait tant d'embonpoint
Qu'il ne pouvait se mouvoir qu'avec peine.
Dans cet état, marchant, pas à pas, lourdement,
Ou plutôt se traînant très-dissicilement,
Il ne quittait jamais sa fétide demeure
Que pour aller, joyeux, à certaine heure,
Se rouler, se vautrer dans un épais bourbier,
Non loin de là rempli de fange et de fumier ;
D'où sortant, tout enduit du plus affreux mélange,
Il allait se gratter, d'une façon étrange,
Et, chaque fois, avec un plaisir sans pareil,
Contre un mur raboteux tourné vers le soleil.
Ce besoin satisfait, encroûté dans l'ordure,
Dom pourceau s'étendait tout du long sur la dure,
Et, pour passer le temps, sans trouble et sans ennui,
Ravageait follement la terre autour de lui ;
Puis, tombant, par degrés, en pleine quiétude,
Il s'endormait en paix dans la béatitude.
Or donc, un certain jour, que sans même bouger,
Le cochon racontait tout du long son affaire
- A son plus près voisin, maigre chien de berger,
Qui ne restait jamais un instant sans rien faire,
Le mâtin répondit : Jeté plains fortement,
Car tout ce bonheur-là finira tristement :
Une attaque d'apoplexie
Et bien plus, le boucher menacent fort ta vie
Mon ami, crois le bien, si j'étais dans ce cas
Je fuirais dans les bois et ne reviendrais pas :
Au moins leste et dispos, faisant moins bonne chère,
Tu ne craindrais plus rien ;
Et, sans souci, goûtant la liberté si chère
Par dessus tout tu te porterais bien.
Quoi ! dit le porc au chien :
Tu veux donc que je quitte une existence heureuse
Pour si pauvre raison,
Et que je laisse ainsi mon auge et ma maison
Pour mener une vie errante, aventureuse,
Souvent rude et pénible et toujours malheureuse
Dans la rude saison ?
Non, non, mom ami, non, je ne suis pas si bête
Et ne crois pas encore avoir perdu la tête.
A quelques temps de là, le malheureux cochon,
Les quatre pieds liés d'une rude façon
Et voyant près de lui, d'une main sûre et leste,
Le boucher aiguiser le coutelas funeste,
Qui devait le saigner, et lui donner la mort,
Criait à plein gosier et gémissait si fort,
Que partout alentour les gens du voisinage
Etaient tout assourdis de cet affreux tapage.
A ses cris accouru, mon ami, dit le chien,
Tu n'as pas voulu fuir, je te le disais bien
Que tu finirais mal et qu'un beau jour la vie
Te serait tout-à-coup fatalement ravie.
C'en est fait maintenant, ne te désole plus,
Tu n'y changeras rien, tes cris sont superflus :
Sache donc expier ta faute avec courage,
Et de nécessité faisant, dit-on, vertu,
Au lieu de te montrer par la crainte abattu,
Meurs non point comme un sot, mais plutôt comme un sage.
Bien que bon, le conseil étant peu de son goût.
Le cochon ne cessa de crier jusqu'au bout.
On ne veut rien changer à son genre de vie
Quand même la raison souvent nous y convie ;
Et lorsque vient le mal on se lamente fort,
Sans vouloir convenir qu'on a seul tout le tort.