Epais, grossiers, lourds et sans grâce aucune
Deux plats, de terre Lien commune :
L'un neuf, et dans tout son éclat,
L'autre vieux et fêlé, dans le plus triste état ;
Mais conservant encore un reste d'existence,
Grâce à certains crampons scellés avec prudence,
Figuraient alignés, côte à côte et sans bruit,
Sur l'humble redressoir d'un modeste réduit.
En cet état que pouvaient faire,
Nos plats pour s'occuper, ou du moins se distraire,
Si non songer, penser, réfléchir, méditer,
Va mieux, selon leur goût, parler ou disserter ?
Donc on parla, jasa beaucoup pour ne rien dire ;
Puis on en vint à blâmer et médire,
Genre commun à tous les sots,
Partant aux ignorants ainsi qu'aux idiots ;
Mais une fois arrivés aux extrêmes
Nos médisants s'occupèrent d'eux-mêmes.
— Oh ! disait le plat neuf au vieux plat : cher ami,
Je souffre de te voir n'exister qu'à demi,
Et sans cesse j'ai peur que la moindre imprudence
Ne vienne mettre un terme à ta frêle existence.
— Merci, dit le vieux plat, de tes bons sentiments,
Mais, crois-le bien, je vis sans crainte, ni tourment,
Et bien que mutilé, je me sens peu l'envie
De faire de sitôt mes adieux à la vie ;
Et sait-on qui de nous, désigné par le sort,
Paiera le premier son tribut à la mort ?
Je pourrais bien, hélas ! avant que la nuit tombe,
Voir la fin de tes jours, et se fermer ta tombe.
Notre vieil écloppé savait parfaitement,
Qu'on ne l'employait, lui, qu'avec ménagement,
En prenant tous les soins que dicte la prudence
Pour prolonger encore un reste d'existence,
Qu'un moindre heurt pouvait anéantir du coup,
Tandis qu'on harassait et fatiguait beaucoup
Le plat neuf son voisin, en l'employant sans cesse
Sans nul ménagement et sans délicatesse.
A mon sens le vieux plat raisonnait sagement,
Ainsi que le prouva bientôt l'événement :
Tout-à-coup du logis survient la ménagère
Le bonnet de travers, irritée, en colère.
On ne sait trop pourquoi,
Ni contre qui ni contre quoi.
La belle, en cet état, émue outre mesure,.,
S'approche du plat neuf et d'une main peu sûre,
Le saisit par le bord, et, croyant bien tenir,
L'enlève brusquement afin de s'en servir ;
Mais hélas ! de se ? doigts il glisse et tombe à terre,
Où, mis en maints morceaux, il se rompt comme verre.
Sous le fardeau des ans tristement affaissé,
Plus d'un vieillard, pesant, cacochyme, cassé,
Soigneux de ses vieux jours et rempli de prudence,
Voit trancher tristement le fil de l'existence
De bien des jeunes gens, valides, vigoureux,
Victimes des abus et d'excès désastreux.





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