En mère intelligente, aussi tendre que sage,
Une poule veillait, et la nuit et le jour,
Sur sa jeune famille arrivée à cet âge
Où le cœur est troublé par les feux de l'amour :
« Restez auprès de moi, mes enfants, disait-elle,
Vous vous en trouverez, croyez m'en, toujours bien :
Je veillerai sur vous ; mon amour, plein de zèle,
Vous protégera tous et vous ne craindrez rien. »
Dans cet état, toujours pleine d'inquiétude,
Et l'esprit tracassé d'un souci sans pareil,
Chaque jour notre poule, avec exactitude,
Rentrait au poulailler, au coucher du soleil,
Avec elle emmenant sa nombreuse lignée,
A s'enfermer sitôt tristement résignée ;
Puis, à peine rentrée, aussitôt, par besoin,
Elle comptait de l'oeil, avec le plus grand soin,
Tous ses enfants rangés, avec ordre à leur place,
Sur le même perchoir et tous lui faisant face,
Afin de s'assurer qu'aucun d'eux ne manquait ;
Après quoi notre poule en veillant reposait.
Ainsi donc, certain soir que notre pauvre mère
En silence passait sa revue ordinaire,
Elle reçut au cœur un coup vif et mortel :
L'un de ses chers enfants manquait à son appel,
Et c'était, ô malheur !... une jeune poulette,
Aimable au dernier point, mais hardie et coquette,
Qui. s'étant esquivée en silence et sans bruit,
Allait, pleine d'amour, par une belle nuit,
Au gré de ses désirs, chercher bonne fortune
À la pâle clarté des rayons de la lune.
Notre jeune étourdie, errant donc au hasard,
Fit, au bout d'un chemin, rencontre d'un renard
Qui, le nez droit au vent, retenant son haleine,
Allait, en tapinois, en quête d'une aubaine.
Le compère joyeux de trouver sous ses pas
Une proie à laquelle il ne s'attendait pas,
En remercie Dieu, dans son cœur à l'avance,
Et sur elle soudain à corps perdu s'élance.
A sa vue aussitôt notre belle s'enfuit
Courant, volant aussi ; mais le renard la suit,
Sautant et bondissant, près d'un bon quart de lieue ;
À la fin il l'atteint, la saisit par la queue
Et la tire si fort qu'elle lui reste aux dents.
Ce renard n'étant pas, dit-on,' des plus prudents,
Fût tellement surpris de sa mésaventure
Qu'il s'arrêta tout court, confus de sa capture.
Quitte pour aussi peu, l'écourtée, en ce cas,
Droit vers le poulailler précipite ses pas,
Sans même regarder un instant derrière elle.
Dans ce temps, le cœur plein d'une crainte mor telle
Sa mère la cherchait, l'appelait tristement :
Or, la voyant venir aussi rapidement,
Notre poule comprit que, par son imprudence,
Sa fille avait couru quelque danger immense ;
Et puis s'apercevant, presqu'au même moment,
Que la folle manquait de ce noble ornement
Qu'on a queue appelé : ma fille, lui dit-elle,
Vous l'avez échappée, à ce qu'on voit bien belle ;
Vous avez aujourd'hui fait brèche à votre honneur,
Ce qui déjà pour vous est un très-grand malheur ;
Mais la prochaine fois l'impitoyable bête
Vous aura, croyez m'en, et la queue et la tête ;
Après quoi, sans façon, le reste y passera ;
Sortez encor le soir, la chose arrivera.
Fillette, que l'amour de ses feux importune,
N'allez pas promener toute seule à la brune ;
Il est certain renard qui prendrait votre cœur,
Et vous croquant bientôt ferait votre malheur.