Placés à très-peu de distance,
Deux Pommiers de même âge et d'égale hauteur,
Vivaient en bonne intelligence,
Et ne montraient jamais d'humeur.
Un jour, fier de son abondance,
Et voyant courber ses rameaux
Sous ses fruits qu'il croyait des fruits par excellence,
L'un à l'autre tint ce propos :
De la même grandeur nous sommes...
Par quelle singularité
Ne portes-tu donc que deux pommes ?
Admire ma fécondité !...
Quand notre maître auprès de moi s'avance ,
Pour lui quel spectacle enchanteur !
Ma vue est une jouissance
Toujours nouvelle pour son cœur.
Je l'ai surpris sur toi fixant un œil farouche ,
>En te regardant de côté,
Et je crois même que sa bouche
Disait alors : -Quelle stérilité ! » --
Le Pommier outragé montra de la prudence :
Il attendit le tems de la maturité,
En observant un rigoureux silence.
Ses deux pommes par leur beauté
Rabattirent enfin de l'autre l'arrogance,
Et l'indécente vanité.
Ce rival vit la terre autour de lui jonchée
De son fruit vert, avorté, sans couleur,
Et chaque pomme à sa tige attachée
Se trouva grêle et sans saveur.

Jeunes littérateurs, si jaloux de produire
Des ouvrages en quantité ,
Mon orgueilleux Pommier doit ici vous instruire,
Craignez votre facilité ;
Un seul volume peut suffire
Pour arriver à l'immortalité.

Livre II, fable 23




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