Boufsi d'orgueil et comptant ses aïeux,
Sur son antiquité ne pouvant pas se taire,
Un Gentilhomme dédaigneux
Se croyait un Dieu sur la terre ;
Tout devait fléchir devant lui.
Un nouveau noble, homme estimable,
Veut lui prouver qu'un Anobli
Au Gentilhomme est souvent préférable.
A-t-il l'austérité de la douce vertu ?
Le Gentilhomme a droit à notre estime ;
Si des plumes du paon, c'est un geai revêtu,
Aux yeux de la raison l'encenser est un crime.
Départ et d'autre on s'excitait,
Et le sarcasme allait se faire entendre,
Quand le Tems qui les écoutait,
Un grand livre à la main, vint tous deux les surprendre.
« Messieurs, dit-il, j'arrive exprès
Pour terminer votre dispute,
Car elle est de nature à ne finir jamais.
Allons, ne soyez plus en butte,
Et vivez l'un et l'autre en paix.
Depuis l'origine du monde,
Dans ce livre on voit d'un coup-d'œil
Ce qui se passe en la machine ronde :
De la vanité c'est l'écueil,
Chaque mortel y trouve un journal de sa vie.
Tout est écrit, rien n'est dissimulé,
Et si c'est votre fantaisie,
Je vais l'ouvrir quand vous aurez parlé. »
Le Gentilhomme le désire ;
Aussitôt le livre est ouvert,
Et le vieillard se met à lire
Son article à ses yeux offert.
« Votre noblesse est un peu neuve :
De votre aïeul le père était un bas valet,
La filiation vous en donne la preuve ;
Un ministre le protégeait,
De ses plaisirs il avait l'intendance :
Intéressé, peu délicat,
Il fit une fortune immense,
Et, rougissant de son premier état,
Pouvant se passer de son maître,
En homme adroit il acheta
Une charge très-propre à décrasser son être :
Votre origine vient de là.
Pour vous, votre noblesse est plus nouvelle encore ;
Mais vos titres par l'or ne sont point achetés ;
C'est la vertu qui vous décore :
Ils sont bien glorieux, puisqu'ils sont mérités.
Faites époque aux champs, à la cour, à la ville,
Servez d'exemple à vos égaux ?
Et puisse d'un tronc si fertile
Sortir les plus riches rameaux !
Entre vous deux la différence
Se manifeste clairement ;
Le plus ancien n'a point la préférence ;
Quand ce fut au poids de l'argent
Qu'il acheta les droits d'une noble naissance :
Et celui qui descend d'un illustre guerrier
Qui prodigua son sang pour venger sa patrie,
Et dont le front fut ceint d'un immortel laurier,
S'il ne soutient l'honneur de la chevalerie,
N'est à mes yeux qu'un indigne héritier. »
Le livre se referme et Saturne s'envole.
Le Gentilhomme honteux et désarmé
Devint modeste et fut plus estimé.
On profite à si bonne école.