Le Coeur et la Raison Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

Un jour, dans un moment d'humeur,
Sans prendre le ton trop sévère,
La Raison accusait le Cœur
De se montrer toujours à ses leçons contraire.
Contre tes passions j'étale vainement,
Lui disait-elle, un sublime langage :
Il ne te faut qu'un seul moment
Pour détruire tout mon ouvrage.
Notre union pourtant ferait le vrai bonheur
De l'homme qui n'embrasse hélas ! que sa chimère.
Agissons de concert, et nous verrons l'erreur
Elle-même bientôt s'exiler de la terre.
Le Cœur y consentit, et convint qu'un traité
Allait de leurs Etats ne faire qu'un empire ;
Mais en réfléchissant à la félicité,
Qu'il croit vraiment absente où n'est pas le délire,
Fort peu de tems après le Cœur s'est retracté.
« La Raison, disait-il, cette vieille grand'mère,
En beaux discours ne tarirait jamais,
Et, me suivrait partout, si je la laissais faire :
Brouillons-nous, pour mes intérêts
J'y gagnerai, la chose est claire :
Car toujours sa froideur a fait fuir la beauté,
>Dont ici bas je suis le tributaire,
Et sans laquelle en vérité
L'existence n'a rien qui soit fait pour nous plaire.
Auprès de la Raison ou je suis attristé,
Ou je bâille : et le prône alors se renouvelle! ...
« Fuyons, fuyons cette prude éternelle :
Par l'ennui, le bonheur est trop cher acheté !
Ce qui fut dit fut fait. Depuis, séparé d'elle,
Sa conduite et ses pas sont marqués par l'erreur.
On le voit préférer l'image du bonheur
Asa réalité. Jamais il n'est majeur ;
A chaque instant il a quelque nouveau caprice ;
Et lorsque la Raison lui parle avec douceur,
Pour diriger ses goûts et fixer son ardeur,
C'est un pupille ingrat qui rit de sa tutrice.

Livre III, fable 4




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