Le Jugement de la Raison Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

Admirateurs zélés du simple La Fontaine,
Deux écrivains, dont je tairai le nom,
Pour l'imiter prenaient beaucoup de peine ;
Y réussissaient-ils ? Non, non.
J'ai tort, et j'en donne la preuve :
L'un cadençait des vers alignés au cordeau,
Et sa moralité très-sèche et jamais neuve,
Etait bien loin d'offrir un sublime tableau.
L'autre peignait toujours d'après son ame :
Etpas à pas conduisant son lecteur,
N'aiguisait point la saillante épigramme,
Mais s'efforçait de le rendre meilleur.
« La fable, disait-il, est le sermon du sage.
Le conte est amusant par sa légèreté,
Mais l'apologue a ce noble avantage
Qu'il mène à la vertu par sa moralité
Et réforme l'homme à tout âge.
La fable vers son but, dans son austérité,
Se presse sans détour; pour instruire elle amuse ;
Elle emprunte par fois le sel de la gaîté,
Mais jamais elle n'en abuse. »
Il fallait décider irrévocablement
Lequel des deux rivaux méritait le suffrage
De la Raison : Voici quel fut son jugement,
Et c'est un jugement bien sage.
-- Vos écrits à tous deux diffèrent par la fin,

Dit-elle, à mon avis vous vous rendrez sans doute;
Ecoutez : un de vous s'est trompé de chemin ;
De la gaîté qu'il reprenne la route ;
Et vous, à la vertu, guidez le genre humain.

Livre IV, fable 19


Titre complet : Le Jugement de la Raison ou les deux Fabulistes

Commentaires