De tous les bons conteurs, La Fontaine est le maître,
Son style est naïf et plaisant,
Dans ses écrits l'on voit paraître,
L'agneau timide et le loup ravissant ;
La mouche qui fait l'importante ;
Le Renard fin et délie,
Qui du corbeau trompe l'attente,
Par un discours étudié.
Chaque animal à la sa manière,
Y parle, interroge, répond,
Et conserve son caractère ;
Mais ce qui le plus me confond,
C'est que sans cesse il assaisonne,
Son récit de cent traits saillans, dont on s'étonne,
Et de réflexions où brille le savoir,
Qui font et qui feront toujours le désespoir
De tous les autre fabulistes.
La Motte eut après lui quelques panégyristes,
Son style monotone est grave et sérieux,
Fors quand de quolibets, aussi plats qu'ennuyeux,
Surchargent son discours, il s'égare et se trompe.
Quelquefois il fit avec pompe,
Ce qu'on doit présenter sans art et sans couleurs,
Il introduit aussi pour interlocuteurs,
Des êtres sur lesquels nos sens n'ont point de prise,
Et que chacun définit à sa guise,
Personnifiant tout ; affection, désir,
Seigneur présent et Seigneur avenir,
Qu'il établit marchands dans une foire,
Dom Jugement, Dame Mémoire
Et Demoiselle Imagination,
Font avec nous encor bien moins allusion,
Que messire Appétit, Dom Pet, Dame Colique,
Demoiselle Indigestion,
Ou tout autre être fantastique.
Qu'est-ce donc, après tout, qu'un auteur de bon sens,
Un penseur dont la muse étique,
Affuble de vains ornements,
Une fable métaphysique ?
C'est, puisqu'il faut que je m'explique,
Un bœuf qui caracole, au lieu d'aller le pas ;
Ou, pour m'expliquer d'autres fortes,
C'est un boiteux qui fait des entrechats,
C'est un homme qui danse avec des bottes fortes,
Finissons la digression
La Motte pouvait bien nous dire, ce me semble
Sans détour et sans fiction,
Que jugement, mémoire, imagination,