Le Merle et le Rossignol René Alexandre de Culant (1718 - 1799)

Un Merle, un Rossignol, l'un et l'autre encagés,
Habitant d'une galerie,
S'agaçaient chaque jour par quelque raillerie.
Sommes-nous donc découragés,
Disait l'oiseau couleur d'ébène,
Au point de ne plus chanter ?
A quoi bon nous tourmenter ?
C'est accroître notre peine.
Pour moi je siffle à perdre haleine,
Les airs que mon maître m'apprend.
Mais vous, Philomèle éplorée,
Songerez-vous toujours au fier térée ?
Et le mal qu'il vous fit était-il donc si grand,
Qu'on ne pût l'oublier après mille ans d'absence ?
Vous auriez bien mieux fait de garder le silence,
Comme tant d'autres font encore en pareil cas :
Allons chantez... je ne vous conçois pas
Vous ! qui reçûtes en partage,
Gosier brillant, tendre ramage,
Que ne répétez-vous les airs que chaque jour,
Nous chante ici notre jeune maîtresse ?
Qui, moi ! j'irais flatter une traîtresse ?
Dit le Rossignol à son tour.
Elle m'enferme et je la brave ;
Je suis son prisonnier, mais non pas son esclave.
Apprends que c'est de moi qu'on apprend à chanter,
Et tu n'es fait, toi, que pour imiter.
On en peut dire autant de ces flatteurs à gages,
Plats courtisans, petits amateurs,
Et serviteurs imitateurs,
Qui pour un rien barbouillent mille pages.

Livre II, fable 10




Commentaires