L'Écureuil et le Merle Ivan Krylov (1768 - 1844)

C'était la fête du hameau ;
La foule, à chaque instant accrue,
Sous la fenêtre du château
Se pressait à flots dans la rue.
Manants, bourgeois, seigneurs, entassés sur le seuil,
Suivaient d'un œil charmé les tours d'un écureuil.
A vrai dire, il faisait merveille :
Dans un cylindre à jour, courant et revenant,
Sa patte agile allait trottinant , trottinant,
Et sa queue en cerceau, venant battre l'oreille.
Semblait un tourbillon qui va toujours tournant.
Sur un bouleau voisin, un merle assez caustique
Paraissait moins pressé d'admirer tous ses tours.
« Mou vieux, dit-il, dans la boutique
Peut-on du moins savoir ce que tu fais ? — Je cours !
Ah! mon ami, quel dur métier!
Je suis d'un grand seigneur le principal courrier.
Tout le jour je sue à la peine,
Sans rien boire et sans rien manger;
Et toi-même, tu peux juger,
Si j'ai le temps de prendre haleine ! »
Ce disant, l'écureuil, au risque d'en mourir,
De plus belle, à l'instant, se remet à courir,
Le merle en s'envolant lui dit :
« C'est vrai peut-être ;
Pour moi le fait est clair : tu cours,
Tu cours, tu cours, tu cours toujours,
Mais sans bouger de ta fenêtre. »

Maint faiseur qu'on voit se débattre
Par les affaires assailli,
Se trémousse et se met en quatre,
Et chacun en reste ébahi ;
Le jour, la nuit, on l'entend geindre ;
Il fait beaucoup, mais fait-il bien ?
Son travail n'aboutit à rien :
C'est l'écureuil dans son cylindre.

Livre X, fable 11




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