Un Rossignol de son ramage
Charmait les hôtes du bocage ;
De nombreux applaudissements
Accueillaient chacun de ses chants ;
C’était un délire suprême
Parmi les auditeurs.
Et du bis plus d’un morceau même
Eut les honneurs.
Membre de l’auditoire,
A ces parfums de gloire
Largement énivré,
Un Coq d'Inde se crut de pareille victoire
Follement assuré.
Ce Coq d'Inde était vaniteux ;
C'est le propre de son espèce ;
Les sots de croire en eux
Plus que tout autre ont la faiblesse.
De Bulbul les chants les plus doux
Finissaient à peine
Que Coq d'Inde aux échos jette de ses glouglous
L'étrange cantilène ;
Jugez la surprise de tous!
Si tout d’abord chacun s’¢tonne,
Ce fut à la ronde bientôt
Un chorus de sifflets à couvrir un trombone.
Notre chanteur et preste et tôt
Sous pareille tempête,
Hélas ! n’eut qu’a battre en retraite.
L’amour-propre des sots a pour indemnité
De vrais trésors de vanité;
— « Je mérite mon sort, dit-il ; qu’avais-je à prendre
Pour juges de tels béotiens ?
Certes, il est d’autres musiciens
» Plus dignes de m’entendre. »
Un Merle ouï ces mots ; ce Merle était railleur ;
— « Vous avez raison, beau chanteur! »
Lui dit-il ; » pour ma part je sais vous rendre hommage;
« Rien n’égale de vos glouglous
Le suave et brillant ramage ;
Je vous tiens, soit dit entre nous,
Pour le Dupré de tout bocage;
Et Bulbul n’est auprès de vous
Qu'un mauvais chantre de village. »
Le sire pour deniers comptants
Prit ce langage satyrique.
le qu'un sot absorbe d’encens
Est vraiment chose hyperbolique.
Alger, 18 Octobre 1853.