Je n'aime point les sujets tristes,
Et je m'égaie en celui-ci.
Je ne sais si j'ai réussi :
Mais pour peindre les égoïstes
Le personnage du dindon
M'a semblé le plus convenable ;
J'en ai donc fait le héros de ma fable :
A ces messieurs j'en demande pardon.
L'oiseau dont la beauté fut surtout l'apanage,
Le paon, dans un jardin , aux yeux des spectateurs
Déployait à plaisir l'orgueil de son plumage,
Et laissait admirer l'élégant étalage
De sa queue , où d'Iris se peignaient les couleurs.
L'or , l'opale et l'azur variaient la nuance
De ce cercle brillant d'étoiles parsemé ;
Et Phébus avec complaisance
L'embellissait encor d'un regard enflammé.
Mais , tout bouffi d'orgueil , gonflé de jalousie,
Se croyant un objet cent fois plus curieux,
Un dindon eut la fantaisie
De vouloir effacer cet éclat radieux.
D'un air de suffisance il passe et se promène
Entre les spectateurs et le superbe oiseau ;
Avec bruit fait la roue , et pense être plus beau
Que son rival; enfin d'une entreprise vaine
Il ose s'applaudir. On le regarde à peine :
L'insensé croit pourtant qu'il a gagné le prix
Sur l'oiseau de Junon, qui traîne avec noblesse
Au haut des célestes pourpris
Le char brillant de la déesse,
Et porte les couleurs d'Iris.
Après cette scène risible,
Un chant mélodieux , rempli d'expression,
Fixa soudain l'attention.
C'était un rossignol dont le gosier flexible
En cadence s'enflait par les sons les plus doux.
On approche sans bruit , et sous l'épais feuillage
On l'écoute à loisir. Eh quoi ! ces gens sont fous,
Dit le dindon ; le beau ramage !
Qu'y trouvent-ils de gracieux ?
Ils sauront dans l'instant que l'on peut chanter mieux.
Au ton aigre, importun, monotone, ennuyeux,
De cet impudent qui s'admire,
Le rossignol se tait, et chacun se retire.
Notre dindon voit dans la basse-cour
Un coq qui caressoit une jeune poulette :
Le plaisant héros en amour!
Dit-il : mais son triomphe a l'air d'une défaite ;
On le prendroit pour un enfant.
Quelle fadeur ! quelle mollesse !
Il faut voir le dindon témoigner sa tendresse.
C'est en amour, surtout, que je suis triomphant.
Ainsi l'égoïste ne trouve
Rien de beau, rien de bon, n'est jamais satisfait ;
Il condamne tout, et n'approuve
Que ce qu'il dit ou ce qu'il fait.