Le Rossignol et l'Hirondelle Louis Auguste Bourguin (1800 - 1880)

C'est pendant les longs soirs amenés par novembre ,
Quand ma poitrine en feu, qu'excite un air trop vif,
Me condamne à garder les arrêts dans ma Chambre,
Qu'en proie à cet ennui qui ronge tout captif,
Les pieds sur mes Chenets, le coude sur ma table,
J'appelle à mon Secours la musé de la fable.
Mais dès qu'avril plus doux, aux branches des buissons,
De son souffle attiédi fait fondre les glaçons
Sitôt qu'au bord du bois a fleuri l'anémone,
Que de ses chatons d'or lé saule se couronné,
Quand, messagère des beaux jours,
L'hirondelle à ma cheminée,
Joyeuse, a retrouvé son nid de l'autre année,
Quand l'alouette aux champs raconte ses amours,
Muse, adieu: plus dé vers. Disciple de Linnée,
De mes excursions recommençant le cours
Je visite les" bois, les vallons et les plaines :
Il n'est sentier si rude, aux monts de nos Ardennes,
Dont mon pied Curieux ne Sache lés détours.
Pourtant "si, fatigué de ma Course pédestre,
Vers le déclin du jour, parfois je vais m'asseoir,
Au pied d'un arbre, immense orchestre,
Où mille oiseaux en chœur chantent l'hymne dû soir,
Au bruit de leurs concerts si doux à mon oreille,
Ma muse paresseuse un instant se réveille ,
Et mon vers babillard, excité par leurs jeux,
Sautille sur la branche et gazouille avec eux.
C'est ainsi que naguère, en un site champêtre,
Comme l'heureux Tityre, étendu sous un hêtre,
J'ai rimé cette fable : — Un jour,
Le chantre du printemps disait à l'hirondelle :
« Depuis que de nos bois désertant le séjour,
A la paix des champs infidèle,
Dans les cités, ma sœur, tu t'enfuis sans retour,
Que deviens-tu ? dis-moi. Jadis, dans ces demeures,
Peut-être il t'en souvient, à chanter tour à tour
Nous passions doucement les heures ;
Et le pâtre écoutait, dans un muet transport,
De nos chants fraternels l'harmonieux accord.
Puisqu'un heureux hasard aujourd'hui nous rassemble,
Veux-tu, ma sœur, comme autrefois,
Alterner nos chansons ouïes redire ensemble?
— Mon frère, ignores-tu que j'ai perdu la voix,
Depuis que j'habite la ville ?
Dans ta vie oisive et tranquille,
Tu peux chanter à l'aise, à l'ombre de ces bois ;
Mais aux cités, la vie active, dissipée,
De mille soins divers est sans cesse occupée,
Et j'aurais beau chanter, nul ne voudrait m'ouïr.
Puis, j'ai bien autre chose à faire
Qu'à chanter nuit et jour, mon frère.
— A quoi passes-tu donc tout ton temps? — A bâtir. »
Autant en advient au poète,
Quand pour le bruit du monde il quitte sa retraite :
Il ne peut plus, comme autrefois,
Te suivre tout le jour, aimable Poésie,
Et sur tes ailes d'or bercer sa fantaisie :
Le monde est un tyran qui l'astreint à ses lois.
Du siècle subissant la triste frénésie,
Il s'intrigue, il se pousse aux honneurs, aux emplois,
Il lui faut des palais, de l'or. Mais si parfois
Il veut chantcr encore... il a perdu la voix.

Livre III, Fable 25, 1856




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