Prométhée et le Satyre Louis Auguste Bourguin (1800 - 1880)

« Il brille," il brille, enfin ! îl est en ma puissance
Ce feu que pour l'Olympe avaient créé les dieux !
Sur ses ailes de flamme.il voltige, il s'élance,
Et fait de vains efforts pour remonter aux cieux.
Terre, conserve bien la divine étincelle
Que pour toi j'ai ravie au saint flambeau des jours :
Que le feu, ma conquête, à la race mortelle
Demeure pour toujours.

« Plongeant dans l'avenir mes regards prophétiques,
Je vois, oui, je vois l'homme, esclave émancipé,
Briser, fouler aux pieds les liens tyranniques
Dont vos mains, dieux jaloux, l'avaient enveloppé.
Avec le feu, les arts et le travail vont naître. ;
Le fer va remplacer la massue et l'épieu ;
Et les lions vaincus reconnaîtront leur maître
Dans le maître du feu.

Abandonnant le gland à l'animal immonde,
L'homme agrandit la plaine aux dépens des forêts,
Et le champ nourricier, que sa sueur féconde,
Doit tout à son travail et non pas à Gérés.
La mer veut-elle mettre un terme à ses conquêtes,
Il lance son esquif sur l'abîme grondant ;
Neptune se courrouce : il brave ses tempêtes
Et rit de son trident.

« Il fait plus : en tous sens sur les flancs de Cybèle,
De ses lignes de fer il étend le réseau,
Et l'ardente vapeur, qu'à son char il attelle,
Prompte comme la flèche ou l'aile de l'oiseau,
Précipitant soudain sa course vagabonde
A travers les vallons, les plaines, les sommets.
Le porte eh quelques jours aux limites du monde,
Trop étroit désormais..

« Qu'opposer à l'ardeur de celte race humaine ?
L'impossible est pour elle un mot vide de sens:
Elle ose, ô Jupiter, envahir ton domaine,
Elle éteint dans ta main tes foudres menaçants.
A ces Titans en vain tu refusas des ailes :
Un jour tu les verras, d'un vol audacieux,
S'élever au-dessus du trône où tu chancelles,
Et s'emparer des cieux.

Mortels, vous me devez l'ardeur qui vous enflamme,
Mon génie a pour vous fait plus que Jupiter :
S'il vous donna le corps, moi, je vous donne une âme,
Je vous livre à jamais l'air, la terre et la mer,-
Et toi, quand j'ai brisé les fers de Ion esclave, .
Invente, ô dieu jaloux! un nouveau châtiment,
Et livre à tes vautours de ce cœur qui te brave
L'éternel aliment. »

Ainsi, sur sa lyre inspirée ,
Chantait Prométhée ; à sa voix,
Les farouches mortels sortent du fond des bois,
Et, ravis à l'aspect de la flamme sacrée,
De leurs instincts grossiers se dépouillant soudain,
Us dansent alentour, en se donnant la main.
La nuit vient : lentement la troupe se retire.

Quand, errant dans l'ombre, un satyre
De loin voit cette flamme; il approche, il admire^
Et d'un brûlant tison tout à coup s'emparant,
Sous son toit de feuillage il l'emporte en courant.
Imprudent! il le livre à sa jeune famille.
Bientôt, dans leurs jeux enfantins,
Le feu, qui s'augmente et pétille,
S'étend rapidement aux arbrisseaux, voisins.
Le satyre riait ; mais la flamme agrandie
Sous le souffle orageux des vents
Par toute la forêt propage l'incendie,
Et le satyre et ses enfants
Veulent fuir, mais trop tard: ils y perdent là vie.

Dans ce feu, qui sert ou qui nuit,
J'ai voulu te peindre, ô science !
Toi dont il faut bénir et. craindre la puissance :
Dé l'erreur dissipant là nuit,
Dans la route dû Vrai ta lumière nous guide ;
Mais parfois son éclat perfide,
Météore trompeur, sert à nous égarer :
Instrument à la fois des vertus et du crime,
Hélas ! pourquoi faut-il que ton flambeau sublime
Souvent brûle au lieu d'éclairer ?

Livre IV, Fable 1, 1856




Commentaires