Prométhée et Mercure Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Jupiter, un jour, fut touché
Des souffrances de Prométhée ;
Vers lui Mercure est dépêché,
Et, sur la roche ensanglantée,
L’entremetteur du roi des dieux,
Tenant une coupe remplie
De cette eau qui fait qu’on oublie,
Vient se poser silencieux.
- Que me veux-tu ? dit la victime
- T’apporter l’oubli de ton crime
Et de ces dangereux secrets
Qui font ton éternel martyr :
Pour que tu n’ailles plus les dire
Aux mortels toujours indiscrets.
- Oui, mourir sans jamais renaître,
Car l’ignorance, c’est la mort,
Voilà les grâces de ton maître.
Qu’il triomphe, il est le plus fort !
Mais je l’ai deviné, qu’il tremble !
Je vis, et nous régnons ensemble,
Lui dans son ciel, moi dans l’enfer.
Enchaîné, je lui fais la guerre
Et j’attire à moi son tonnerre
Avec mes entraves de fer !
Va, Mercure, tu perds ta peine :
Laisse-moi ma gloire et ma chaine.
Oublier ce serait périr ;
J’aime mieux savoir et souffrir.

Souffrir en homme est plus honnête
Que de vivre et jouir en bête.

Livre I, fable 17


Symbole 17 :

Et pourtant il est beau d’avoir ravi le feu du ciel, dût-on subir à travers les âges le supplice de Prométhée !
Est-ce Prométhée qui est cloué au mont Caucase ou le mont Caucase, le berceau des hommes, qui est cloué à Prométhée ? Si le géant se lève, n’entraînera-t-il pas le monde suspendu à ses clous ensanglantés ?
Jupiter envoie un vautour à Prométhée et ce vautour, nourri des fortes entrailles du Titan, devient un grand aigle qui étranglera un jour l’aigle de Jupiter
L’humanité est figurée par Prométhée, elle est figurée aussi par ce supplicié immortel qui étend ses bras entre le ciel et la terre, et qui fait de son gibet une échelle plongeant son pied dans la nuit des enfers.
Quand les pontifes et les satellites de Pilate le croient mort, il sort de sa tombe, il descend aux enfers, il en brise les portes, et il remonte à la lumière entraînant captive la vielle servitude, comme Hercule, libérateur d’Alceste, tirait après lui avec une
sorte chaîne le chien à trois têtes du Ténare.
Les noms changent suivant les temps et les contrées, mais le symbolisme est toujours le même.
L’homme doit être esclave d’abord pour apprendre à désirer et à conquérir la liberté. Il doit souffrir pour vaincre la souffrance, il doit faire le mal qu’il prend pour le bien, et souffrir la peine de son erreur pour arriver à la science du bien et du mal et pour choisir librement le bien.
Mais que ce soit le mal ou le bien, il faut qu’il fasse quelque chose. La vie est à ce prix, celui qui ne fait rien est un cadavre.
Celui qui fait le bien parce qu’il a peur d’un châtiment n’est encore qu’un vil esclave. Est-ce que la peur est une vertu ?
Menacer un homme de cœur c’est l’engager à faire ce qu’on lui défend.
Si l’enfer devait être le partage de l’intelligence courageuse qui lutte au nom de la raison, et si le ciel était réservé à la stupidité craintive qui obéit au nom du mystère, les gens d’honneur et de cœur devraient tous aller en enfer et l’enfer serait alors le ciel.


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