Un Lion eut un fils; sa joie en fut extrême;
Qu’on soit homme, qu’on soit lion,
Prince, bourgeois, besacier même ,
N'importe, on veut avoir un rejeton ;
Chacun met son bonheur suprême
A renaitre en un fils , fut-il un avorton.
Notre Lion du reste avait tout sujet d’être
Fier et joyeux ;
Le jeune sire était d'une étoffe a promettre
Un successeur en tout digne de ses aieux.
Sa grace, sa beauté, sa vigueur, sa souplesse
En faisaient parmi son espéce
Le vrai phenix des Lionceaux.
Maitre és-arts chez les animaux,
En droite ligne issu de Fagotin lui-même ,
Un Singe, clerc en plus d'un thème,
Lui fut donné pour gouverneur.
Ce Macaque avait pour système
D'être animal de cour plus encor que docteur.
Pour se maintenir en faveur
C’est une méthode assez sûre ;
Aussi n’était-il point d’autre cure
Que de complaire à l’écolier
Par mille tours de passe-passe ,
Souvenirs d'un premier métier.
Alerte, souple, plein de grâce,
L’élève retint promptement
De maitre Fagotin le plaisant répertoire.
Il sautait, il ballait, et, voire,
Il faisait le saut du tremplin
A dépiter tout Tabarin.
Chacun Jouait son savoir-faire ;
C’est bon pour gens de cour, louer est leur affaire ;
Mais le Lion lui-même a ces tours de jongleur
Ne se faisait faute en son cœur
D'applaudir; ce sont 1a des faiblesses de père,
Tant tout amour porte un bandeau !
L’enfance toutefois s'écoule ;
Tout en sautant, ballant, grandit le Lionceau ;
L’adolescence fuit , l'âge mur se déroule ;
Le voila Lion devenu
Et ce je ne sais quoi, cette grâce, apanage
Que possède seul le jeune âge,
Avec cet âge a disparu;
Et cependant encore il balle, il se dandine,
A tout venant fait mainte mine ;
Mais s'il charmait jadis, maintenant il déplait
Et, sil n’était Lion, chacun s’en moquerait.
De plus d'un ci-devant jeune homme,
Qu'il n'est besoin que je vous nomme,
De point en point et trait pour trait
Dans notre Lionceau se voit la ressemblance ;
Notez ceci pour résultat plus stir :
Presque toujours les graces de l’enfance
Sont les défauts de l'âge mur ;
Heureux encor quand ces grâces factices
Pour chrysalide, hélas ! n’ont pas des vices.

Livre III, fable 3


Birmandreïs, 28 Octobre 1853.

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