La Vieille et la Raison Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

Loin de chercher à captiver les cœurs,
Une Vieille dans son ménage,
Tantôt boudait, tantôt faisait tapage,
Ou bien désespérait chacun par ses vapeurs.
Bavarder était sa manie :
À la tête elle se jetait ;
Vous arrachait-elle un secret ?
Le répandre était sa folie.
Du matin jusqu'au soir la Vieille médisait,
Et , suivant l'ordinaire effet,
La médisance la menait
Droit à la calomnie.
Les rides, lui dit la Raison,
Profondément sillonnent ton visage,
Et te voilà dans l'arrière-saison,
Sans cependant être plus sage.
Quel vil métier t'occupe incessamment,
Que ta conduite est odieuse !
Pour annoncer le bien, ta langue est paresseuse :
Pour divulguer le mal, elle agit constamment.
La femme vraiment vertueuse
Ouvre les yeux pour compter nos vertus,
Et les défauts sont toujours aperçus
Par une femme vicieuse.
Qui brille par le cœur est toujours indulgent,
Et ne porte rien à l'extrême ;
Va, ton esprit sera moins exigeant
Si quelquefois tu descends en toi-même. »
Sans doute la Raison
Allait continuer un aussi beau sermon,
Et par un examen de ses erreurs passées,
En ce moment à ses yeux retracées
La forcer de rougir d'aimer si peu le bien :
Mais cette Vieille et méchante et frivole
Promit d'être meilleure, et chacun pense bien
Qu'elle ne tint pas sa parole.

Lorsque le temps flétrit votre beauté,
Et vient vous enlever d'aussi puissantes armes,
Tâchez, sexe enchanteur, par l'affabilité
De réparer la perte de vos charmes.

Livre IV, fable 4




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