La Raison, la Liberté et l'Égalité Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

La Liberté soutenait thèse un jour
Contre l'Égalité , toujours mal définie.
« Même à la passion que l'on appelle amour,
Tout mortel me préfère en cette courte vie,
Disait-elle , et pour moi chacun brave la mort.
J'exalte les esprits, je rends l'homme indomptable.
Quant à vous , quel est votre sort ?
L'imagination vous dépeint fort aimable,
Mais vous avez de bien sots protecteurs
Qui vainement vous élèvent un trône.
Le philosophe vrai se rit de vos prôneurs,
Et jamais il ne vous couronne ».
La Raison, de leur différend,
Pour les mettre d'accord, voulut être l'arbitre.
-- Écoutez-moi, leur dit-elle, un moment.
L'Égalité me paraît un beau titre
Qu'embellirait la Liberté :
Mais l'homme, hélas ! n'a ni l'une ni l'autre.
Qui vante tant l'Égalité,
Est loin souvent de s'en montrer l'apôtre.
À qui réfléchit mûrement,
L'Égalité n'offre qu'un faux système ;
Nous l'admettons moralement,
Mais au physique il n'en est pas demême.
En richesse, en vertus, en courage , en talens,
Tout nous prouve que la nature
Ne dota pas tous ses enfans,
Et qu'elle variera constamment la mesure.
Quant à la Liberté, chacun peut en jouir,
S'il se conforme aux lois que dicte la Sagesse ;
Mais son abus conduit toujours au repentir,
Et provoque des lois la rigueur vengeresse.
Allez, croyez-moi, je soutien
Que l'homme vertueux en tout tems est son maître.
On est libre en fesant le bien :
Qui fait le mal cesse bientôt de l'être. --
Nos déités ne répliquèrent pas.
Eh ! qu'auraient-elles pu répondre ?
Tous les humains, sur les mêmes débats,
Sont comme elles, je crois, faciles à confondre.

Livre III, fable 19




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