Fier de son noble port, un jour le pin altier
Gourmandait en ces mots le timide pommier :
« Triste avorton de la nature !
Tandis que gauchement sur le bord d'un chemin,
Ou dans un rustique jardin,
On te voit étaler ta grotesque tournure,
Au sein d'un bois touffu, j'élève dans les airs
Mon front majestueux. Mes rameaux toujours verts
Triomphent de l'âpre froidure,
Et des autans, et des sombres hivers.
Puis, lorsque enfin la cruelle cognée
Aura tranché ma destinée,
Planté sur un navire, au sein des vastes mers
Guidant des matelots la course vagabonde,
Je braverai les vents et la fureur de l'onde. »
« Épargne-moi tes superbes mépris,
Répondit l'arbrisseau * modeste.
Tu l'emportes sur moi, je l'admets sans conteste ;
Toutefois chacun a son prix.
Jusques au ciel fièrement tu t'élances :
Tu ne crains ni l'hiver, ni les tristes autans ;
Mais comme moi du bienfaisant printemps
Sens-tu les douces influences ?
A tes pieds rarement tu vois naître les fleurs.
Moi, j'admire de près leurs brillantes couleurs,
Et savoure à mon gré leur suave ambrosie.
Sur les ondes guidant de fiers navigateurs,
Des flots tumultueux et des vents destructeurs
Ton front audacieux bravera la furie :
Fort bien ; mais ce glorieux sort,
Quand en jouiras-tu, mon cher ? Après ta mort.
Ne suis-je pas plus heureux, je te prie ? -
Nourrissant de mes fruits hommes, femmes, enfants,
Je vois mon existence à chaque instant bénie ;
Et des bienfaits que je répands
Je puis jouir durant ma vie. »