« Que je te plains, mon vieux voisin !
Disait au pommier le sapin,
Tout fier de sa parure au déclin de l'année.
Vois ta feuille, déjà languissante, fanée,
Se mourir... Et pourtant l'hiver
Est loin encore... Hélas ! à peine
Tu sens du nord la froide haleine
Que te voilà nu comme un ver !
J'en suis fâché pour toi, bien fâché, je t'assure ;
Quelle différence entre nous !
Voyant de mes rameaux l'éternelle verdure
Tu ne peux (c'est dans la nature)
Manquer d'en être un peu jaloux ;
Et je ne t'en veux pas. » D'ordinaire humble et doux,
Pour une misérable injure
Point n'est prompt le mérite à se mettre en courroux :
Le bon pommier tardait à répondre au superbe,
Quand un vieux campagnol sortant de dessous l'herbe,
Indigné, prend pour lui fait et cause : « Il sied bien,
Dit-il, à qui ne donne rien,
Absolument rien à personne,
D'élever aussi haut son vain luxe, et cela
Pour abaisser d'autant l'arbre utile qui donne
De si bon cœur tout ce qu'il a !
Égoïste vantard, vois-tu cet arbre-là
Laisser tomber pour nous ses pommes les meilleures,
Qu'en nos souterraines demeures
Nous mettons de côté pour la soif à venir ;
Le vois-tu s'effeuiller afin de nous fournir
De quoi nous apprêter à l'aise
Ces lits où, sans souci de la saison mauvaise,
Nous passons tout l'hiver à jouer et dormir ?
Va, va, nul ne sera dupe de ta jactance ;
On sait ce que tu vaux. » Les rieurs, comme on pense,
Furent tous du côté du pommier généreux.
Honte à l'orgueilleuse opulence
Stérile pour les malheureux.