Du Sapin et du Bisson Ysopet Avionnet (Moyen Âge)

Jadis, si comme nous lison,
Ot pris guerre contre un bisson,
Un sapin trop biaus et trop hautz
Et dit au bisson : Je vaus miaus
Que toi; quarjusques aus estoilles
Etens mes brenches et mes foilles :
De cent lieues je suis bien véus,
Tant sui et pargrant et parcreus,
Quant sui en une nef en mer.
Tel arbre fait bien a amer.
Mes tu es un nain acroupis
Qui porte le menton ou pis
Let et sec et tout espineux,
Des autres le plus hanieux :
De nul bien ne te pues venter :
Folie fu de toi planter.
Li boissons comme courrouciez,
Li respont, trestout hericiez :
Tu parles seulement, amis,
Des biens que Dieu a en toy mis;
Mais toutes tes meschances celles :
Se tu es haus jusqu’aus estoilles,
Et je suis nains, petis et bas,
En tout ce ne gaignes tu pas :
Car ma petitesse et laidure
Font que nully de moi n’a cure :
Mais ce que tu es haus et lons
Te fait coper jusqu’aus talons.
Mieux me vaut dont ma petitesse
Que ta grandeur qui si te blesse,
Et mieux t’est injurieux,
Et nulz de moy n’est envieux.

Qui de ses biens venter se veult
N’oblie pas ce dont il se deult :
Car mieulx vaut un lait homme sains
Que un biau de maladie plains.
Beauté ne vaut rien sans surté,
Ne grant noblesse sans murté.

Tiré du le livre Fables inédites des XIIè, XIIIè, XIVè siècles et Fables de la Fontaine, par A.C. M. Robert, 1825, p.93


Fable XI

Notes

Pis : poitrine
Hanicux : fâcheux, incommode
Meschance ou meschéance : mésaventure
Celles : de celer, cacher
Marte : mérite


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