« Petit ami, rends grâce à la nature ;
Te voilà donc aussi paré de quelques fleurs ?
Épanouis les bien, fais briller leurs couleurs
Couronne tes rameaux d'une tendre verdure,
Et te fais bien valoir ! » C'est ainsi qu'un poirier
Fort élevé, dont l'immense feuillage
Couvrait au loin le voisinage,
Persiflait un petit pommier
Qui végétait sous son ombrage.
Seras-tu toujours aussi vain,
Aussi rempli d'une morgue hautaine,
Lui répondit le pommier nain.
Je vaux mon prix, tais-toi, - Tu ne vaux pas la peine
Que l'on cueille tes fruits, misérable avorton ;
En ferais-tu bien croître une demi-douzaine ?
Moi j'en ai par milliers, j'en perds une centaine
Chaque matin ; dis, s'en aperçoit-on ?
« - Si j'en ai moins et qu'il soit bon,
Et s'il est réservé pour la table du maître
Je suis content ; les tiens peut-être
Seront pour les valets ; et si j'ai peu de fruits
Ma taille est faible et j'ai peu de feuillage ;
Je n'obscurcis pas tout d'un éternel ombrage,
Et je nuis peu, lorsque je nuis. >>
Confondu par ces mots, l'arbre de haut parage,
Voulant prouver au pommier nain
Qu'au moins il lui restait un dernier avantage,
Lui dit » Faible arbrisseau, tu disputes en vain,
Ose me regarder, moi qui vois tout le monde,
Et qui suis vu d'une lieue à la ronde !
Couronné des fleurs du printemps,
Ou chargé de fruits abondants,
On admire mon front robuste
Qui s'élève avec majesté. »
» J'en conviens, répondit l'arbuste,
Mais de plus loin aussi l'on voit ta nudité
Lorsque le triste hiver règne en paix sur la terre.
L'homme obscur à l'œil pénétrant
Peut sans effort dérober sa misère ;
Mais, lorsqu'on est d'un certain rang,
L'on a bien plus de peine à cacher ce mystère !