Dans un même verger et voisins l'un de l'autre
Deux poiriers dans les airs étendaient leurs rameaux.
L'un produisait des fruits non moins suaves que beaux,
L'autre ne donnait rien. De mon état au vôtre,
Dit un jour au premier le second en pleurant,
D'où peut venir l'extrême différence
Qui, vous donnant sur moi cette prééminence,
Vous fait jouir du bonheur le plus grand ?
Passe-t-on devant vous ? on vous loue, on admire
Tantôt de vos rameaux les boutons et les fleurs,
Et tantôt de vos fruits les groupes enchanteurs :
On vous aime et partout on veut vous reproduire,
Tandis que l'autre jour
Je me suis, pour punir ma fatale impuissance,
Entendu menacer de la hache et du four.
En me douant de l'existence
On ne peut le nier, la nature envers moi
Fut, hélas ! bien barbare.
Ah ! que dis-tu, mon frère ? et quel transport t'égare ?
La nature envers toi,
Non, ne fut point injuste.
Cesse de blasphémer contre cet être auguste ;
N'accuse que ton cœur,
De tous tes maux il est l'unique auteur :
En lui seul est la cause
De ta stérilité.
De l'indocilité
Et de nulle autre chose
Procède le malheur que tu crains en ce jour.
Te souvient-il de nos jeunes années ?
La nature éprouvant pour nous le même amour
Semblait nous préparer les mêmes destinées.
Aux soins d'un jardinier actif, industrieux,
Et qui nous les donnait avec juste mesure,
Elle avait de tous deux confié la culture.
Mais on te vit toujours altier, présomptueux,
Et même insolemment rebelle
Repousser ses travaux ; et, maudissant son zèle,
Contre lui t'irriter, le traiter d'inhumain,
De cruel, de féroce et même d'assassin.
Pour moi soumis au joug pénible et salutaire
Qu'il voulut m'imposer,
Il ne m'entendait point follement l'accuser
Quand, d'une main sévere,
D'un bois par trop nombreux
Il réprimait en moi l'inutile abondance,
Ou qu'avec d'autre plant corrigeant mon essence
Il m'apprit à porter des fruits plus savoureux :
De-là ces jours brillants, de-là ces jours de gloire
Que tu me vois couler dans le sein du bonheur.
Que ne m'imitais-tu ? Si tu m'avais su croire,
Comme moi tu serais fertile et plein d'honneur.