Dans un obscur cachot gémissait enchaînée
Une mère à la mort par les lois condamnée :
Son rang l'avait soustraite au glaive du bourreau ;
La faim seule devait la conduire au tombeau.
D'un farouche geôlier le cœur inexorable
Ne lui rendait son sort que trop inévitable ;
Du Styx elle touchait déjà le bord fatal.
Mais, ô charme ! ô pouvair de l'amour filial !
Sa fille, par ses pleurs, âme sublime et rare,
A su de son geôlier fléchir le cœur barbare ;
Elle peut voir enfin dans son affreux séjour
L'objet cher et sacré qui lui donna le jour,
Le couvrir de baisers.... Mais l'avenir l'afflige...
Sous la tombe bientôt... ô nature !.. ô prodige !...
Sur ton être la mort n'étendra pás sa loi,
O mère infortunée entre son fils et toi
Partageant de son sein la substance féconde
L'amour filial sait te conserver au monde.
De tes jours prolongés ton gardien surpris
Redouble en vain ses soins, les rend même infinis ;
Il ne peut découvrir le divin stratagème
Qui, trompant tous ses sens, l'épouvante lui-même.
Mille pensers divers l'agitent tour-à-tour.
Par quel enchantement peut voir encor le jour
Celle qui destinée à passer chez les ombres
Devrait depuis longtemps être aux royaumes sombres ?
Du redoutable arrêt féroce exécuteur
Sur elle fera-t-il l'office du licteur ?
Ou bien osera-t-il d'une main téméraire
Séparer pour jamais la fille de la mère ?
Pour obéir aux lois que fera-t-il enfin ?
Pendant que son esprit ainsi flotte incertain,
Et qu'aux plus noirs projets tour-à-tour il se livre
Sans oser décider lequel son cœur doit suivre,
Vers le fatal cachot le hasard le conduit.
Plein de tous les soupçons il avance sans bruit,
Dans l'air semble marcher et s'arrête à la grille ;
A travers les barreaux dans le sein de la fille
Il aperçoit la mère, ô spectacle enchanteur !
Y puisant de ses jours le lait conservateur.
A cet aspect touchant étonnée et ravie
Pour la première fois son âme est attendrie.
De ce trait merveilleux le préteur informé,
Le transmet à César par lui-même affirmé ;
Et du plus digne prix le prince le couronne :
En faveur de la fille à la mère il pardonne.
Le ténébreux cachot en un temple est changé
Le temps qui détruit tout l'a depuis ravagé :
Mais sur les murs sacrés de celui de mémoire
Cet acte fut gravé par la main de l'histoire ;
Là, méprisant du temps les foudres destructeurs,
Du plus doux sentiment il touche encor les cœurs.