Le Merle et l'Oiseleur Frédéric Rouveroy (1771 - 1850)

L'ingratitude est l'un des plus grands maux
Qu'ait renfermés la boîte de Pandore :
A mon avis sur l'homme faux
Le cœur ingrat l'emporte encore.
Un merle jeune et quelque peu follet,
Se trouvait pris dans un collet.
L'oiseleur survenu, le merle le supplie
» Sois généreux, dit- il, accorde-moi la vie ;
Mais si j'implore ce bienfait,
Je puis aussi le reconnaître.
Viens avec moi dans la forêt ;
Un trésor est caché, je veux t'en rendre maître. »
A ce mot de trésor l'homme écoute enchanté :
» Ne me trompes-tu point ? » - Je suis en ta puissance,
Que pourrais-tu risquer, puisque ma liberté
Ne sera que le prix de ta reconnaissance ? »
L'oiseleur promet tout. Pour plus de sûreté,
Il encage son guide et se met en voyage.
Arrivés vers le fond du bois :
« C'est ici, creuse au pied de l'arbre que tu vois ;
Un certain jour, tapis sous le feuillage,
Je vis un homme y cacher un trésor. »
L'autre aussitôt pose la cage
Et se met à creuser ; il fouille, il trouve l'or.
» A ton tour, dit l'oiseau, dégage ta parole,
Rends- moi la liberté. » » Tu me prenais au mot,
Mon bon ami ! mais va, ton attente est frivole,
Je t'attrape et te mets au pot,
C'est dans l'ordre ; et crois-moi, tu dois me savoir grâce
D'avoir jusqu'à présent retardé ton trépas. »
Le merle ne répliqua pas,
Et sur-le-champ tous deux quittent la place.
Comme ils étaient à mi-chemin :
» Il faut, lui dit l'oiseau, t'expliquer à la fin ;
Refuses-tu toujours de tenir ta promesse ? »
>> Mieux que cela, pour moi seul apprêté,
Je vais te savourer avec délicatesse ;
Est-il merle de ton espèce
Qui voudrait être mieux traité ? »
» Va, cesse de railler, si ma prière est vaine,
Et, malgré ton serment, si ma mort est certaine,
Je veux encore, ingrat, t'accorder un bienfait ;
Ecoute, retournons au fond de la forêt ;
Un trésor, Un trésor ! Sous une roche obscure... »
Le cupide oiseleur l'empêche d'achever :
» Ami pour le coup je t'assure,
Je te promets... Oh ! fais-moi le trouver !
Deux trésors en un jour, quelle heureuse aventure !
Me voilà riche aussi ! » L'oiseau nomme l'endroit ;
Il eût paru suspect en toute autre rencontre,
Mais cette fois l'homme y courut tout droit.
Le merle arrivé là lui montre
Sous quelle roche est le trésor ;
Quand soudain de voleurs une troupe s'élance...
Le coquin ne put fuir ni faire résistance ;
Mais ce n'était pas tout de lui prendre son or,
On lui donna sa récompense,
Et la mort fut le prix de la déloyauté.
Aux voleurs à l'instant l'autre conta l'affaire,
On en rit, et pour son salaire
On lui rendit la liberté.

Livre I, fable 17




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