Le Merle et les Tourterelles Pierre Chevallier (1794 - 1892)

— Qu'ai-je fait pour qu'on me décrie,
Pour que sans cesse on m'injurie,
Disait, tout en se lamentant,
Une gentille tourterelle :
A nul oiseau je n'ai pourtant
Jamais fait aucun mal, jamais cherché querelle.
Ah ! si du moins je connaissais
Ce qui peut en moi tant déplaire,
Aussitôt je m'étudirais
A réformer mon caractère.
Du fond de son épais taillis,
Un vieux merle, témoin de cette humeur chagrine,
Lui répond : — Ma chère voisine,
D'une telle pensée éloignez les soucis.
Modeste, gracieuse, aussi bonne que belle,
Vous êtes, je le dis ici sans compliment,
Des oiseaux de ce bois le plus parfait modèle.
Mais par votre beauté vous faites le tourment
D'une laide perruche et d'une jeune pie
Qui, lorsqu'on vous admire, en suffoquent d'envie.
Hier, au grand bosquet, on put aisément voir
Dans leur feinte galté percer leur désespoir.
Elles jasaient, riaient, forgeaient sur votre compte
Les plus affreux propos, le plus absurde conte.
De leurs calomnieux éclats,
Toutefois, mon enfant, ne vous alarmez pas.
Tôt ou tard, croyez-moi, triomphe l'innocence.
En vain cette maudite engeance
Fera sur vous mille paquets,
Aux yeux du peuple ailé voudra vous rendre noire :
Pour répéter ses sots caquets,
Elle ne trouvera que de plats perroquets
Et que des buses pour y croire.

Livre II, fable 10




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