Le Poirier et la Citrouille Joseph-Marie de Gérando (1772 - 1842)

Dans mon jardin, un modeste poirier
Depuis trente ans, en paix, vit et se renouvelle,
Demandant peu de chose aux soins du jardinier,
Mais d'un tribut abondant et fidèle
Venant, chaque saison, enrichir mon fruitier.
Plus d'une fois, jeune écolier,
D'un vol il me permit l'outrage ;
A mon insu, peut-être, aujourd'hui mes enfants
D'une visite, aussi, lui vont porter l'hommage.
A mon frugal dessert ses dons appétissants,
Sur le pampre étalés, rangés en pyramide,
Par leur vernis doré flattent mon œil avide :
(Couleur d'or, guère, en d'autres lieux,
De son éclat ne fatigue mes yeux).
Mais prenons garde au radotage !
Mon poirier, comme moi, sommes un peu sur l'âge ;
Venons au fait.
Au pied de mon poirier,
Certaine plante potagère
Dont le nom peu brillant au rimeur ne plaît guère,
Mais qu'avant moi déjà chanta maint fablier,
Une citrouille.... enfin (il faut que je m'explique,
Au risque d'être un peu moins poétique),
Germait, croissait, montait, et son léger tuyau,
Au dedans tout humecté d'eau,
À la chenilles/strong> en son habit semblable,
Et de petits crampons comme elle hérissé,
Grimpait, trouvait dans l'arbre un appui favorable.
L'arbre de ses festons bientôt est tapissé ;
La citrouille orgueilleuse étale son feuillage,
Un luxurieux équipage
De grosses fleurs, aux rameaux suspendu,
Offre de leur éclat l'aspect inattendu.
Un mois s'écoule à peine, et la plante accrochée
D'un fruit énorme est accouchée.
De mon poirier surpris le vigoureux rameau
Fléchit, en soupirant, sous un poids si nouveau.
La citrouille sourit ; sa bouche dédaigneuse
Veut d'une harangue pompeuse
Accompagner sa gloire. Au poirier : « Que fais-tu,
Dit- elle, et combien d'ans ont formé ta vertu ?
Quels dons mesquins près des miens tu prodigues !
Est - ce donc là le fruit de tes longues fatigues ?
Ne perdons point le temps en discours superflus,
Répond l'arbre cher à Pomone ;
Attends, pour comparer, la fin de cet automne. »
L'hiver vient, la citrouille eh ! déjà n'était plus.

Un jour l'intrigue ambitieuse,
Dans ces vers empruntés au chantre de Roland,
Te montrera ses succès d'un moment,
Sa fin rapide et malheureuse.
En tes efforts persévérants
Pour le bien et l'étude, aujourd'hui ton courage
Peut du moins dans ma fable apercevoir l'image
Du succès vrai, solide, acheté par le temps ;
Et quand gonflé de sa vaine science,
Glorieux de son air, de sa toilette vain,
Un jeune fat vante son importance,
Pour le juger attends au lendemain.

Livre III, Fable 3


Imitation de l'Arioste

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