L'Ours Martin et le Fat Joseph-Marie de Gérando (1772 - 1842)

Dans ce jardin, miroir de l'univers,
Temple animé de la nature,
Où de tous les climats divers
Les plantes à l'envi déploient leur parure,
Où l'immense variété
Des animaux peuplant les airs, la terre et l'onde,
Et réunis ici de tous les points du monde,
S'étonnent de pouvair vivre en communauté ;
Dans ce nouvel Éden, une troupe joyeuse
S'était réunie un matin
Près du fossé qui sert de palais à Martin.
Sieur Martin occupait la bande curieuse ;
Singeant les airs d'un docte prosesseur
Qui dans sa classe exerce la grandeur
De l'autorité souveraine,
Martin lentement se promène,
Enveloppé dans son manteau ;
Lève avec dignité son énorme museau,
Puis gravement s'assoit sur son derrière.
Vous croiriez voir le régent dans sa chaire,
Et l'assistance d'applaudir.
Mais on attend encore un bien autre spectacle ;
Martin a deviné l'unanime désir,
Il grimpe à l'arbre, et l'on crie au miracle !
Perché sur l'arbre il semble au faîte des honneurs,
Change mollement de posture,
Avec orgueil étale sa fourrure,
D'un salut à la foule accorde les faveurs.
Martin jouit, mais un stérile hommage
Ne lui suffisait nullement ;
Maint spectateur avec empressement
Par un morceau de pain exprime son suffrage.
Lors certain fat, important et railleur
(On en trouve partout, partout ils sont les mêmes),
Vient d'un si beau triomphe altérer la douceur.
« Tu pense avoir atteint aux dignités suprêmes,
Par cette foule être admiré, »
Dit-il à l'animal fourré ;
Pauvre sot, combien tu t'abuse !
On vient te regarder, mais de toi l'on s'amuse ;
Tu crois qu'on t'applaudit,
On rit. »
Il dit, et sous ses doigts son jabot s'amplifie ;
Son superbe regard parmi les spectateurs
Cherche des hommages flatteurs,
Et d'avance les remercie.
L'ours dit : «De ta rigueur, ami, je suis surpris ;
« Les succès que j'obtiens sont ceux dont tu te vantes.
N'es-tu pas le Martin des salons de Paris ?
Je t'imite au Jardin des plantes. »

Livre III, Fable 2




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