Un ours de très basse naissance,
Ours enrichi dans la finance,
Brave ours, et, quoique financier,
Aucunement ne sentant l'usurier,
Un certain jour se mit en tête,
A l'occasion de sa fête,
De donner un grand bal
Avec, régal.
Madame l'Ourse à sa soirée "
N'admit pas de petites gens,
Mais, plume en tète et richement parée,
Elle fut, avec ses enfants,
Prier Sa Majesté Lionne,
Honnête et courtoise personne,
De vouloir bien honorer le soupé,
Avec ce que la cour avait de plus huppé,
De son auguste et royale présence,
Et danser la première danse.
Sa Majesté promit qu'elle ouvrirait le bal
Avec la fille du chacal.
La fête fut éblouissante,
Et, de mémoire d'ours, on n'avait jamais vu
Réunion plus belle et plus resplendissante,
Meilleur orchestre et meilleur ambigu.
Nos ours ne se sentaient pas d'aise,
Et tout en faisant dos à dos,
Les grâces ou la chaîne anglaise,
S'enflaient, se gonflaient dans leurs peaux.
« Quel honneur, disaient-ils, ces gens de haut lignage
Et la présence du Lion
Vont jeter sur notre maison I
Certes, voisine l'ourse en crèvera de rage. »
Maint propos, maint chuchotement
Que le vent porte à leurs oreilles,
Rabattent leur orgueil et leur contentement :
« Avez-vous jamais vu fatuités pareilles ?
Ces ours voudraient-ils pas s'élever jusqu'à nous ?
Par Jupiter ! ils sont tous sous ! »
Moi, je ne connais pas de pire suffisance
Que celle des gens de finance.
Ils auront beau se pavaner,
Faire les gros, se dandiner,
Ils porteront toujours, imprimé sur leur mine,
Le cachet de leur origine. »
Un air de valse incontinent termine
L'irrévérencieux discours,
Et l'ours dit à son ourse, étouffant de colère :
« C'est très-bien fait pour vous, ma chère. »
Ours, à vos bals n'invitez que des ours !