Buffon avait un singe, un grave orang-outang,
Qui d’un valet faisait l’office,
Et qui, sur ses deux pieds sans peine se tenant,
Avait la taille et le flegme d’un suisse. ;
Pour s’amuser, un jour de carnaval
Au bal de l’Opéra conduit l’animal
De taffetas jonquille un ample domino,
Les gants, le Brodequins, le masque de Venise,
De pied en cap déguisaient le Pungo,
Et des plus clairvoyants préparaient la méprise.
Un Savoyard leur aide à sortir de voiture;
Mais du grand singe il n’en est pas de même:
Contempler tous les fous du bal.
Sa majesté fière et tranquille,
Attirent tous les yeux sur le masque jonquille.
Dès qu’on est remarqué chez nous on est charmant.
Pour le Pungo chacun se passionne,
Le lutine et le questionne.
Autre sujet d’étonnement;
C’est un prince étranger – C’est un docteur
Dit l’autre. – Un évêque. – Oui. – Peut-être un grand d’Espagne.
– C’est au moins un ambassadeur.
La foule avec transport l’admire, l’accompagne,
Et tous voudraient lui plaire. Dans la main
Un masque en passant lui glisse La demeure d un médecin
Du grand homme qui ne dit rien.
Te voilà bien, peuple fantasque !
S’écrie alors Buffon du singe ôtant le masque ;
Tu dédaignes le vrai talent,
Et tu veux que l’objet de ton culte imprudent
Reçoive tout son prix de ta tête légère :
« Aussi rien n’est plus propre à faire un important,
Qu’une bête qui peut se taire. »

Fable 2




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